Décolonisez vos esprits !

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Un matin de ce mois en France où l’on prend, un peu plus, conscience du danger russe et du basculement de la politique de l’allié américain, la direction d’une station privée (RTL) a mis en retrait de l’antenne son chroniqueur vedette pour avoir dit : «Chaque année, en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ?»
Ce scandale, immortalisé par les réseaux sociaux, cristallise, encore une fois, le débat sur la liberté d’expression dans une vieille démocratie occidentale.
Quand ils s’en prennent à la vérité, les médias occidentaux tombent directement dans un contresens historique comme éthique et deviennent une arme de répression et de dissuasion massives. Une scène médiatique dogmatique, aveugle, enfermée dans ses préjugés, fascinée par un négationnisme à la carte comme elle le fut hier par le colonialisme.
Comment qualifier ce qui s’est passé dans un pays qui se prend pour un grand défenseur de la liberté d’expression ? D’accablant ? D’écœurant ? D’affligeant ? D’inquiétant ?
Qu’il semble loin, très loin, le temps où Tocqueville écrivait en 1847, après une visite en Algérie colonisée :» Nous avons dépassé en barbarie les Barbares que nous venions civiliser». La voix des intellectuels à cette époque était parée de toutes les vertus libertaires, la promesse d’une autre France libre, égalitaire, civile et laïque dans laquelle la vérité historique contribue à assagir le rapport au passé.
Aujourd’hui, c’est la honte d’une classe politique obnubilée par la vérité, le déshonneur des médias qui ont enfoui leur passion de liberté.
Il faut reconnaître que ce ne sont pas des dérives individuelles, des trajectoires cabossées, mais qu’il y a bien une dimension sociologique, presque collective. Ce comportement fut loin d’être circonscrit aux seuls politiciens et responsables des médias, mais fut largement partagé par plusieurs intellectuels. C’est ainsi que la France perdit son éclat qui la rendait, après la décolonisation, le «pays espoir» de tous les peuples opprimés. Détachée de ses valeurs, elle devint la proie de ses fantasmes et le prestige de ses acquis émancipateurs fut malheureusement flétri.
Le spectre du passé colonial hante la France. Une «sainte» frayeur noue les langues quand il s’agit d’ouvrir les placards d’un siècle et demi de colonisation, de relégation à une sous-citoyenneté, à une sous-humanité. On se dit médusé à «découvrir» l’horreur. Mais nul ne se hasarde à en reconnaître les raisons, à exprimer le regret, à demander le pardon.
Je suis intimement convaincu que les pays qui ne reconnaissent pas leur histoire, même la plus sombre, ne se respectent pas et
finissent par perdre leur crédibilité.Les décideurs politiques et médiatiques français seraient-ils un brin schizophrènes face à cette vérité historique dont ils se défient jusqu’à ce qu’ils soient confrontés ?
Il faut évoquer ces tendances négationnistes qui ont traversé la scène occidentale en général et se sont honteusement illustrées, ces derniers mois, dans le comportement de la plupart des gouvernements et médias occidentaux envers le génocide et le nettoyage ethnique en Palestine occupée. Cette réalité est terrible, car elle éteint tout espoir de compréhension mutuelle.
J’ai toujours dit et écrit (Réalités du 18 au 24 juin 2020) que le rapport des Africains et des Arabes à l’Occident devrait être régi principalement par le principe de la transparence en tenant compte de l’étape coloniale avec son corollaire d’injustices, d’exploitations, de crimes affreux et de génocides. Cette blessure est une partie intégrante de la mémoire nationale de chaque peuple et qui se confond avec l’idée de tolérance et de pardon. L’oubli est impossible si on laisse se répandre dans les labyrinthes de la mémoire collective le venin de la négation et de l’impunité.

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