Une question sur toutes les bouches : quand commencera le déconfinement? Une autre question taraude les autorités politiques et sanitaires : comment procéder sans risquer un retour de manivelle ? La pandémie n’étant pas maîtrisée, le risque est, en effet, trop important d’un déclenchement d’une deuxième vague de contaminations, si le déconfinement est raté. Raté, c’est-à-dire engagé au mauvais moment et sans les multiples précautions nécessaires. Les responsables politiques et sanitaires du monde entier en perdent le sommeil. Personne n’a droit à l’erreur. Il y a déjà trop de morts. Les plus optimistes parmi les scientifiques ne prévoient pas un vaccin qui mettra le virus hors d’état de nuire, avant une année. D’ici là, divers scénarios sont envisagés.
A l’heure actuelle, il est difficile de prévoir avec exactitude l’évolution de la situation, alors qu’il y a urgence économique, sociale et politique.
Les dégâts humains, économiques et sociaux causés par la pandémie du Covid-19 sont incalculables. Il en est de même pour les problèmes politiques et géopolitiques qui vont en résulter, qui bouillonnent déjà, tels que la tension qui grandit entre les Etats-Unis et la Chine, et le séisme qui guette l’Union européenne. L’après-confinement s’annonce particulièrement compliqué et conflictuel, et nombreux sont les analystes qui prévoient un chambardement de l’ordre mondial et des changements de visions et de stratégies nationales.
En effet, le souverainisme, qui a fait son grand retour avec le président américain Donald Trump, n’a pas épargné l’Europe qui s’est barricadée face à la pandémie du Covid-19. C’est dans le souverainisme que les dirigeants européens et occidentaux ont trouvé les solutions à même de protéger, au moins en partie, leurs populations, leurs territoires et leurs intérêts vitaux. Dans l’une de ses allocutions télévisées, le président français, Emmanuel Macron, a d’ailleurs promis à ses compatriotes que l’avenir sera pensé différemment et que la France devra dorénavant assurer son autosuffisance dans un grand nombre de secteurs pour ne plus dépendre de l’étranger en cas de crise. C’est essentiellement la guerre des masques et des médicaments, détournés des tarmacs chinois, qui a choqué le monde entier et poussé les dirigeants des pays, mondialisés depuis des décennies, à se tourner vers le local (production et consommation) de toutes sortes de produits, particulièrement pharmaceutiques et alimentaires. C’est aussi le cas en Tunisie.
Pas suffisamment de tests
L’industrie pharmaceutique et les laboratoires de fabrication des médicaments tournent désormais à plein régime (+30%) pour fournir localement des masques, du gel hydro-alcoolique, des tests de dépistage du virus et même de la chloroquine. Le ministère de la Santé table d’ores et déjà sur la mise en disponibilité de 30 millions de masques lavables auprès du public avant de déclencher le processus de déconfinement. Pour le dépistage, c’est un peu plus compliqué. Le ministère a opté pour le dépistage sélectif (personne présentant des signes cliniques), en raison du prix prohibitif du réactif utilisé dans les analyses biologiques. C’est au niveau de la prise en charge des Covid+ et des faux négatifs que des failles continuent d’être rapportées par des patients et/ou des praticiens. Nombre de ces personnes à risque passent entre les filets ou sont carrément oubliées, voire non enregistrées. Si bien que l’état des lieux de la pandémie en Tunisie (747 cas confirmés et 34 décès au 14 avril), ne convainc que l’administration sanitaire. L’idée étant que « l’on ne fait pas suffisamment de tests ». Sans oublier que le confinement n’est pas suffisamment bien respecté, ni la distanciation physique et que le masque n’est pas encore disponible. Dans ce contexte peu rassurant, le débat sur le déconfinement a bel et bien commencé et ses conclusions devraient être précisées, d’ici à la fin de la deuxième période du confinement, soit le 19 avril courant. Il n’est pas certain que le début du déconfinement soit décidé à cette date, le ministre de la Santé y est franchement opposé, la communauté scientifique aussi. Car l’on craint un relâchement hâtif ou mal dosé qui risque d’accentuer l’ascension de la courbe épidémiologique. Dans le cas d’espèce, les spécialistes craignent que la situation ne devienne alors incontrôlable. Pour cette raison, le déconfinement ne sera décidé que lorsque la propagation du virus sera ralentie au point de ne plus représenter un risque d’engorgement des services hospitaliers et de réanimation.
Scénarios par région, par catégorie d’âge, par métier
Pour le moment, les scénarios possibles de sortie du confinement, actuellement examinés, sont globalement au nombre de trois : par région, par catégorie d’âge ou par métier, avec des consignes communes strictes de respect des gestes barrières et d’interdiction des rassemblements. Dans le premier cas, ce sont les régions les moins touchées par le Covid-19 qui commenceront à lever une à une les restrictions de déplacement et à rétablir les activités économiques et commerciales. Une interdiction d’entrée et de sortie de la région, pour éviter l’importation de cas de Covid, peut être imposée. Dans le second cas, les personnes âgées dont la tranche d’âge sera définie, et celles fragilisées par des pathologies chroniques resteront confinées jusqu’à nouvel ordre ; les plus jeunes et les mieux portants pourront, quant à eux, reprendre leur travail et leurs activités habituelles. Dans le troisième cas, ce ne sont que les métiers et les professions indispensables douze mois sur douze qui seront autorisés à reprendre du service afin de remettre l’économie en marche. Dans le cas d’espèce, l’intérêt sera de réduire les flux de passagers dans les transports publics et de permettre à tous de récupérer une liberté de mouvement partielle. Le déconfinement, tout comme le traitement à la chloroquine, sont sujets à débat dans la majorité des pays, y compris en Tunisie. Si l’usage de la chloroquine dans le traitement des patients a été finalement validé par la communauté scientifique tunisienne à condition d’être administrée en milieu hospitalier, le plan de déconfinement n’est pas encore tracé, par prévention et par précaution. Or, la situation économique est si grave et les nouveaux chômeurs, malgré eux, estimés à 185 mille, si inquiets, que les responsables politiques, pressés par le monde des affaires, pourraient annoncer un début de relâchement début mai.
Le pays doit redémarrer
La Tunisie économique et sociale ne saurait patienter plus longtemps. Dans le cas échéant, il reviendra aux citoyens le devoir de respecter scrupuleusement les gestes barrières et toutes les autres restrictions afin de contenir la propagation du virus jusqu’à la mise au point du vaccin. C’est là une nécessité, une obligation. Le pays doit impérativement redémarrer et les Tunisiens doivent reprendre le chemin des usines, des entreprises, des ateliers. L’Etat ne dispose pas des ressources financières qui lui permettent de prendre en charge les salaires et les indemnisations plus d’un mois. En même temps, il est inadmissible que les Tunisiens soient réduits au chômage forcé et à la précarité tout en continuant à rester confinés et enfermés chez eux. Cette situation est d’autant plus ubuesque que la menace Covid-19 pourrait durer jusqu’en 2022. Une équipe de chercheurs de Harvard a conseillé de maintenir la distanciation sociale et les gestes barrières jusqu’à cette date. C’est dire qu’un confinement indéterminé pourrait lui aussi tuer, et en nombre. Des solutions existent? Il en existe sûrement, il importe de les examiner ensemble, sereinement et au plus vite.
A cet effet, la contribution des professions à la réflexion est souhaitable. Celle de la société civile également. L’exemple vient d’un médecin, Dr Borhane Belkhiria, ancien chirurgien militaire, président du Syndicat national des chirurgiens esthétiques de Tunisie, qui a pris l’initiative de proposer un plan de déconfinement « sûr, rapide et efficace ». Il suggère un dépistage massif aux tests rapides, comme en Corée du Sud (au travail, dans les lycées, les universités, dans les parkings, les supermarchés, les marchés), une assignation à l’isolement obligatoire à domicile et un traitement au plaquenil-zithromax sous la supervision d’un médecin pour les personnes testées positives. En cas de complications respiratoires, évacuation par le SAMU et hospitalisation. En cas de test négatif en présence de fièvre et de toux, un test PCR classique est effectué. Si le test est négatif et sans signes cliniques, il est consigné le port obligatoire du masque, la distanciation physique et les règles d’hygiène. A part cela, le médecin conseille la reprise immédiate du travail. « La Tunisie a besoin de nous », conclut-il. C’est une contribution qui mérite d’être étudiée. Elle a d’ores et déjà fait l’objet d’une pétition en ligne. Parmi ses nombreux signataires (1500 en une journée), des confrères du secteur de la santé publique et privée, des magistrats, des avocats et d’autres personnalités de divers horizons.
L’après-Covid : de nouvelles priorités
La crise du Covid-19 devra également donner à réfléchir sur l’après-coronavirus. Une des nombreuses pistes à revisiter : la réhabilitation du service public qui doit reprendre ses lettres de noblesse. A tort ou à raison, le secteur privé n’est pas au rendez-vous de cette pandémie comme le souhaiteraient tous les Tunisiens. Le secteur privé crée des emplois, certes, fait tourner la machine économique, certainement, mais il a ses raisons financières draconiennes que la Raison en temps de pandémie ne saurait tolérer et justifier. La pandémie du Covid-19 a réhabilité l’Etat-providence. Le modèle de développement basé sur le libéralisme sauvage n’est pas adapté aux crises, aux périodes de sacrifices, alors que le monde se prépare à vivre de nouvelles crises liées notamment aux changements climatiques.
Autres pistes à déblayer :
- Consommer tunisien. Le bouclage des frontières et la mise en veilleuse des échanges commerciaux entre les pays doivent bénéficier à l’agriculture et aux industries locales. L’effort supplémentaire à consentir sera d’améliorer la qualité des produits et d’innover.
- Encourager le génie tunisien. Les jeunes Tunisiens, ingénieurs, innovateurs et étudiants, ont brillé par leur génie créateur et impressionné face à la pandémie. Il est impératif que ces jeunes soient soutenus par tous les moyens pour donner libre cours à leurs compétences.
Cette crise sanitaire a démontré que l’on ne peut compter sur les importations dans les moments difficiles. La priorité de l’actuel gouvernement devra désormais être : produire davantage localement. En effet, certains équipements et produits pourraient être fabriqués dans les usines tunisiennes, ce qui diminuera les dépenses publiques en devises. Sans tomber dans le protectionnisme aveugle, la coopération bi et multilatérale étant indispensable au développement durable, il convient au gouvernement actuel de réviser profondément ses priorités, d’autant que la crise du Covid-19 a creusé encore plus le fossé financier dans lequel s’enfonce le pays depuis plusieurs années.
Yasmine Arabi