Déconfiture de la culture

A Sousse, la salle de cinéma Ennejma fut rasée au grand regret des habitués à la fréquenter.
A Moknine, la municipalité prend la décision de substituer un centre commercial à l’unique cinéma, estimé donc marginal par le décideur local. Ici et là, drôle de cinéma ! Ces marqueurs d’une représentation à plus large extension relèguent le champ culturel au rang du superflu, de l’inutile et du superficiel. Pour maints islamo-conservateurs, les films peuvent dépraver les mœurs, tout comme le sport où la nudité d’Ons Jabeur exhibe tous les torts. Alors ministre de la Culture, Mohamed Yalaoui, personnage au parler péremptoire et à la forte carrure, tacle une grogne déployée par les gens du spectacle : « Notre civilisation du livre n’a cure de vos fioritures », disait-il. Mais alors, comment l’inculture pouvait-elle gérer la culture ? Ce triste procédé cligne vers une idée. Car bien souvent, les vents courent contre la direction souhaitée par les embarcations. Ainsi, à Paris, le géographe Paul-Henri Chombart de Lauwe, ancien militaire, tout comme Yasmina Khadra, affronta le dilemme d’une option contraire à sa prise de position.
Spécialisé dans le domaine de la sociologie urbaine, avec entre autres, son écrit titré « Paris et le désert français », il fut sollicité en guise de conseiller. C’était le temps où, dynamitées à leur base, les tours HLM, cèdent la place à la table rase où il s’agissait d’ériger le nouvel espace habité. Le conseiller recommande au ministre de l’Urbanisme, l’édification de logements dits sociaux, mais il fut mené en bateau. Les  décideurs utilisaient l’investigation pour la détourner au profit des spéculateurs financiers.
Outré, Chombart adresse un au revoir à pareil usage du savoir par le pouvoir. Aujourd’hui, en Tunisie, substituer un centre commercial à l’unique cinéma d’une ville signalise une certaine représentation des priorités.
Pris au piège de la pénurie, le citoyen appauvri, préfère apercevoir du sucre sur les rayons des grandes surfaces et déserter le débat soulevé par la démolition du cinéma. D’innombrables mini crises émaillent l’ample crise. Ici, la municipalité semble répondre à la question : « Que demande le peuple ? » Et répond : « Manger avant de songer aux spectacles projetés ». Ce 18 janvier, au CERES, le penseur Darim Bassam adresse une objection à ce déluge de chiffres déversés, mais sans les intégrer dans les prises de position pareilles à l’immolation du culturel sur l’autel du commercial. Mentionner le quantitatif et occulter le qualitatif revient à « vouloir marcher avec un seul pied ».
Le propos lucide cligne vers l’analyse de l’économiste Dani Rodrik lorsqu’il écrit, dans son ouvrage : « Peut-on faire confiance aux économistes ? Les économistes utilisent les maths non pas parce qu’ils sont intelligents, mais parce qu’ils ne le sont pas assez ». De nos jours, et par-delà cette affaire des cinémas, la régression culturelle serait-elle imputable aux séquelles de la décennie noire ? Sans aucun doute, même si pareille interprétation pourrait jeter un voile pudique sur certaines déresponsabilisations. 

 

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