Une récente déclaration du ministre des Affaires sociales aux médias, donne le tournis. D’abord par sa teneur, ensuite par les enseignements que l’on est tenté de tirer. Les propos du ministre consacrent un aveu d’échec des pouvoirs publics qui peinent,depuis plus de quatre mois, à débloquer la situation dans les sites de production de pétrole à Kébili. Quel que soit le caractère légitime des revendications des jeunes qui ont provoqué l’arrêt total de la production dans cette région, le pourrissement de la situation, le manque à gagner généré, le prix à payer aux compagnies détentrices de permis, la détérioration de l’image du site tunisien des affaires et l’incapacité à résoudre ce problème par l’application stricte de la loi, laissent dubitatifs. Il faut dire que ce scénario a été prévisible dès le moment où le gouvernement a cédé, d’une manière peu glorieuse à Tataouine, aux revendications de protestataires parfois manipulés qui ont vandalisé les installations et créé un climat insurrectionnel dans la région. A Kébili, les protestataires ont adopté la même tactique, placé la barre très haute en cherchant à défier l’autorité publique et à conférer à leurs revendications un caractère politique grave.
Un gouvernement doit-il poursuivre le dialogue avec des sit-inneurs qui ont présenté plus de 214 demandes, dont certaines sont impossibles à satisfaire ? Le gouvernement doit-il chercher vaille que vaille la paix sociale à n’importe quel prix ? En se contentant de diffuser de vagues messages, à propos d’une situation qui l’oblige à importer ses besoins en énergie et de les payer en devises et d’évoquer les menaces proférées par les entreprises étrangères à quitter la Tunisie, il n’a ni convaincu ni su gérer efficacement un dossier complexe?
Dans le traitement de ce dossier, il est vrai sensible et dont certaines parties ont joué à fond la carte populiste, les pouvoirs publics n’ont pas su manœuvrer ni faire montre d’anticipation. En laissant le terrain libre à toutes les manœuvres politiciennes et populistes, en l’absence de pouvoirs régionaux crédibles et écoutés et de responsables capables de défendre leurs dossiers, l’Etat est devenu l’otage de protestataires qui ont réussi à prendre l’initiative à leur compte en l’empêchant d’assumer ses fonctions régaliennes.
Peut-on avoir confiance en un Etat qui se montre incapable d’exercer son autorité, d’appliquer la loi et de faire en sorte ses actes soient en cohérence avec son discours ? Plus de trois mois après l’annonce solennelle par le président de la République de placer les régions de production stratégique du pays sous le contrôle de l’Armée, rien n’a été fait concrètement. Le statu quo perdure et l’autorité de l’Etat continue d’être bafouée un peu partout dans le pays. Parce qu’on a pris conscience, depuis 2011, qu’on peut tout avoir, pourvu qu’on accentue la pression, on brandit la menace de la grève, on coupe les routes ou on bloque tout processus de production.
Quand les intérêts vitaux du pays, sa sécurité et son unité se trouvent sérieusement menacés et quand l’Etat perd le monopole de la violence légitime et son autorité se trouve constamment défiée, cela ne peut qu’entraîner l’affaiblissement de l’Etat et entraîner son incapacité à assumer ses missions essentielles.
Pour éviter une fragilisation extrême de l’Etat qui serait catastrophique pour le processus démocratique et annonciateur d’une anarchie dont les conséquences sont difficiles à cerner, un Etat démocratique et juste se doit aussi de donner à la loi toute sa vigueur tout en œuvrant à restaurer la confiance et l’espoir.
Malheureusement, tout ce qui se fait sur le terrain place le pays dans une mauvaise trajectoire. Que ce soit au niveau du débat public au sein de l’ARP, ou de l’action des acteurs politiques et de la société civile, on a l’impression que toutes ces forces sont en train d’agir à contre-courant, en unissant leur forces pour fragiliser davantage l’Etat, en le défiant et en développant un discours qui ne fait que compliquer la donne. Les récentes évolutions de la situation politique, économique et sociale montrent que tout le monde cherche à tirer profit de la faiblesse de l’Etat en faisant remuer le couteau là où il fait le plus mal, en essayant d’ orienter ses choix politiques en fonction d’intérêts parfois inavoués
Le ballet des visites entreprises par des délégations de députés, de journalistes ou de représentants de l’UGTT, en Syrie en guerre, sans aucune concertation avec les pouvoirs publics, et leur exigence de rétablir les relations diplomatiques de la Tunisie avec Damas, témoignent de la gabegie qui règne dans la gestion des affaires du pays. Personne ne s’en offusque de ces initiatives qui sont loin d’être désintéressées et très peu sont ceux qui ont conscience des enjeux de la diplomatie nationale dans un contexte mondial et régional instable et annonciateur de grands défis.
La molle réaction de Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères est loin de remettre de l’ordre ou de permettre à la diplomatie tunisienne de jouer pleinement son rôle au service des intérêts du pays.
En s’abstenant de mettre en garde contre les dangers que revêtent ces initiatives improvisées, on risque de voir dans un avenir proche ces acteurs informels se transformer en de véritables initiateurs de la diplomatie officielle tunisienne. N’a-t-on pas dit que la nature a horreur du vide ?