Alors que notre classe politique, nos élites et les organisations de la société civile ne cessent de mettre, dans leur discours, en exergue les vertus de la bonne gouvernance comme levier pour gagner en efficience, transparence et cohérence, on est désagréablement surpris, quand le temps est à l’action, de voir tous ces acteurs verser dans les voies glissantes de l’improvisation, de la démagogie et de l’approximation.
Alors que le contexte dans lequel se trouve le pays exige, plus que jamais, des décisions mûrement réfléchies et concertées, on est souvent médusés par l’extrême légèreté dans le processus de prise de décision, où le superflu devient l›essentiel et l›essentiel devient infiniment superflu. Les exemples sont légion.
Le dernier remaniement partiel du gouvernement, non abouti, en a fourni la preuve la plus tangible. Il semble qu’il a été tellement improvisé et décidé à la hâte, qu’il a connu une fin en queue de poisson. En abandonnant, il est vrai sous la pression, avant de prendre la succession de Abid Briki, Khalil Ghariani a posé un lapin à Youssef Chehed qui, pour sauver la face, a fini par décider la dissolution pure et simple du département auquel est impartie la lourde mission de la réforme administrative. Une décision grave de conséquences, puisqu’en cherchant une piste de sortie de crise, on s’est trouvé pris dans son tourbillon.
Au regard de l’assurance dont le Chef du gouvernement a fait montre lors de l’annonce de ce mouvement, l’évolution imprévisible de la situation altère sérieusement la crédibilité du gouvernement d’union nationale.
Au-delà de toute la polémique qu’a suscitée le départ de Abid Briki, qui s’est montré un mauvais joueur, en s’empressant à régler ses comptes avec le gouvernement auquel il a appartenu et défendu, la fin de cet épisode laisse apparaitre beaucoup d’ambiguïtés dans la gestion des affaires publiques.
L’empressement à prendre des décisions, sans avoir la certitude de leur conférer une forte acceptabilité, ni à mesurer les effets pervers qu’elles peuvent provoquer et le manque flagrant de concertations ont laissé le gouvernement dans une mauvaise posture, ont réfléchi un message d’hésitation.
Ce qui corrobore ce sentiment d’improvisation et de manque de rigueur, c’est qu’on n’est pas en présence d’un cas isolé ; loin s’en faut.
L’annonce de la nécessaire privatisation des trois banques publiques et l’argumentaire, peu convaincant, développé subitement par de nombreux membres du gouvernement, y compris Youssef Chahed en personne, est une autre décision prise à la va-vite. Une annonce qui a enflé rapidement le débat public et la tension sociale, et qu’on a la certitude qu’elle ne débouchera sur rien de concret à moyen terme. Rejeté par tous, y compris par certains premiers responsables de banques concernées, le désengagement de l’Etat de ce secteur a du plomb dans l’aile parce que tout simplement les conclusions du processus d’audit mis en œuvre depuis 2014 n’ont pas été discutées ni annoncées.
Manifestement, cette valse d’hésitations marque un défaut de synchronisation et de communication au niveau de l’action gouvernementale et également de solidarité et de confiance.
Ce dernier problème est devenu non seulement récurrent mais une source permanente de questionnement et d’inquiétude. Dans le contexte actuel, incertain et offrant une visibilité limitée, comment espérer reconstruire cette confiance si nécessaire pour sauver le pays et surtout donner un sens à la révolution de la liberté et de la dignité ?
La réponse est claire, cette construction requiert impérativement une prise de conscience des enjeux, des défis, une véritable hiérarchisation des priorités, une acceptation collective d’accepter de consentir des sacrifices, de favoriser le compromis et de servir l’intérêt général.
Si le diagnostic est connu, les thérapeutiques à administrer à un corps malade font polémique et peinent à trouver un consentement volontaire. Tous les acteurs, ou presque préfèrent la fuite en avant, quitte à flirter avec l’inconnu. En attendant un réveil, qui risque d’être brutal et compliqué, la Tunisie continue de vivre une crise de confiance. Une crise qui altère la relation entre la classe politique et les Tunisiens, entre le gouvernement et les acteurs politiques, entre les citoyens et les institutions du pays, entre le gouvernement et les organisations nationales, entre les organisations de la société civile….
Tout cela malgré le fait qu’on considère tous la confiance comme la pierre angulaire pour renforcer le processus démocratique, relancer la machine économique et redonner espoir aux jeunes et aux régions, mais qu’on ne fait rien pour joindre l’acte à la parole.