Demain, jour de vote !

Les électeurs sont attendus ce samedi 17 décembre dans les bureaux de vote pour élire 151 députés à l’échelle nationale. Les sept circonscriptions à l’étranger qui n’ont pas eu de candidats attendront l’organisation d’élections partielles à une date ultérieure pour choisir leurs dix représentants à la chambre des députés. 
Derrière l’actualité, c’est une autre histoire semée de doutes et de peur de voir des bureaux de vote vides désertés par les électeurs. C’est le climat général de quasi-détresse du pays et de pénuries à répétition qui a plombé une faible et désuète campagne électorale ne ressemblant à aucune autre qui suscite ces craintes. Les langues se sont d’ailleurs vite déliées pour expliquer les raisons des soudaines fréquentes sorties du président Kaïs Saïed, après une longue éclipse, dans une usine de production de lait par exemple ou dans un quartier pauvre de Mnihla. Ce sont les élections ! Kaïs Saïed aurait pris sur lui d’aller à la rencontre des Tunisiens pour réanimer leur flamme patriotique et leur devoir envers la nation en allant voter malgré les problèmes quotidiens de la cherté de la vie et tous les reproches qui lui sont adressés personnellement et à sa Cheffe du gouvernement. C’est un peu tard, non ? 
Le président ne s’est pas, en effet, beaucoup montré sur le terrain pendant plusieurs mois malgré les multiples et longues pénuries de produits de première nécessité. Il s’enquérait de la situation en recevant la Cheffe du gouvernement et quelques ministres dans le bureau présidentiel pour prodiguer ses recommandations, peut-être des ordres aussi. Il ne s’est pas rendu à Zarzis quand la ville était en ébullition et l’avait imploré de s’y rendre pour entendre sa douleur et calmer sa peine. Sortir, maintenant ! Aller à la rencontre des « misérables » d’El Mnihla, son quartier avant de devenir président, à quelques jours du scrutin législatif ! Non, pas maintenant.
Pourtant, une désertion des bureaux de vote serait une catastrophe inégalée pour la Tunisie, un coup de semonce politique, économique, social et diplomatique. Non, les bureaux de vote ne doivent pas être désertés et il faut souhaiter que les partisans de Kaïs Saïed et les proches et amis des candidats aux Législatives soient nombreux et motivés pour donner à l’opération électorale toute sa légitimité et à la Tunisie son statut de pays fiable. Il y va de la Tunisie, de sa place dans le concert des nations, au-delà des divisions, des convictions et des ambitions de chacun. 
Les crises politiques incessantes et les bras de fer entre « chefs de clans » depuis 2011 ont mis à genoux l’économie nationale et pris en otage tout ce qui faisait la bonne réputation de la Tunisie pendant des décennies : l’ouverture sur le monde, terre d’accueil, le tourisme, le phosphate, les droits des femmes, une diplomatie subtile et perspicace. Comment s’en sortir alors ? Comment briser les chaînes de l’égocentrisme et de l’« après moi le déluge » ? N’est-ce pas cet ego vorace des hommes politiques qui ont trop attendu leur heure et celui d’autres politicards en herbe, sortis de nulle part en 2011, qui nous a menés jusque-là ?
Kaïs Saïed n’est pas tombé du ciel, il s’est porté candidat, a fait sa campagne et a été élu. Avant cela, il était un universitaire, un constitutionnaliste bien connu dans le milieu universitaire et politique pour y avoir donné de multiples conférences. Pourquoi ressemble-t-il aujourd’hui davantage à un ovni que tout le monde prétend découvrir soudainement ? Et si des circonstances particulières avaient acculé l’homme de droit, l’homme intègre, l’aventurier en politique et solitaire dans l’arène, sans parti politique ni amis dans le milieu, à s’enfermer, à s’isoler, à sortir la hache de guerre ? Pour se défendre. Des menaces de mort, des tentatives d’assassinat, des complots contre la sûreté de l’Etat, intelligence avec des pays étrangers…Des accusations gravissimes émanant du chef de l’Etat et réitérées dans tous ses discours et déclarations médiatiques. Des accusations verbales que l’opposition réussissait à réduire en miettes et auxquelles finalement personne ne croyait ou presque. 
Selon le président Kaïs Saïed, la justice lui fait barrage, certains magistrats plus précisément. Même après les avoir écartés par décret, le président se sent toujours face à un mur judiciaire, un front qui défend bec et ongles l’indépendance de la justice.  Finalement, certains dossiers ont pu être ouverts, examinés et font l’objet d’enquêtes judiciaires actuellement en cours. On parle d’Instalingo, de la liste des 25, du réseau d’envoi des jeunes en Syrie, des assassinats politiques de Belaïd et Brahmi, entre autres affaires. Pour certains défenseurs de Kaïs Saïed, qui ne sont pas forcément des partisans politiques, le président irréductible est une cible à abattre, d’abord politiquement, parce qu’il joue avec le feu en s’attaquant à l’Etat profond, aux groupes de pression, aux lobbys financiers, aux forces d’influence étrangères. Il met donc en péril la stabilité du pays et sa vie parce qu’il est seul contre tous.  Ses opposants ne se font pas d’illusions, « dégager » Kaïs Saïed de la présidence de la République est une mission impossible sans l’Armée et les services sécuritaires. Ils rêvent d’un autre 14 janvier. Mais cette fois, le « putsch » semble plus compliqué, selon des passages fuités dernièrement sur les réseaux sociaux, des interrogatoires de certaines personnalités faisant partie de la liste des 25 confirmant l’existence de ces affaires et de liens suspects avec l’étranger.
Parce qu’il aura (mal) choisi de ne pas communiquer, Kaïs Saïed n’aura pas été compris ? Ou est-ce parce que Saïed a peur de divulguer certaines choses ? Il n’a peut-être pas peur de mourir puisqu’il a déjà eu l’occasion de déclarer devant la caméra qu’il « est un projet de martyr ». Il a peur peut-être de faillir. Sans doute, c’est l’échec qui le taraude, l’impuissance de mettre en application les valeurs d’un autre temps auxquelles il croit, comme la foi. Kaïs Saïed n’est pas un homme politique, il peut être un penseur, un philosophe ou un ermite. Mais une fois qu’il a été élu président de la République, il a le droit d’être protégé contre toute atteinte à sa vie et à son honneur. 
Personne, quelle que soit sa relation professionnelle avec le chef de l’Etat ou sa proximité, n’a le droit de faire fuiter son dossier médical et de surcroît, à une partie étrangère. Et toute personne, quels que soient son grade, ses relations professionnelles avec l’étranger et son pouvoir d’influence, qui complote contre le chef de l’Etat, doit être condamnée pour haute trahison même si on n’aime pas le chef de l’Etat et qu’on voudrait le voir quitter au plus tôt la présidence de la République. 

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