Démission en masse des médecins : Les hôpitaux publics risquent-ils de se vider ?

Selon le ministère de la Santé, l’année 2012 a vu 154 demandes de démission présentées par 60 médecins de santé publique et 94 médecins hospitalo-universitaires. Nos hôpitaux semblent se vider de leurs compétences. Nos médecins seraient-ils plus attirés par le secteur privé ? En réalité, ils fuient les hôpitaux où les conditions de travail seraient devenues tout simplement invivables.

 

Le Directeur général de la santé par intérim, Nabil Ben Salah, a annoncé lors d’un point de presse organisé la semaine dernière, que des centaines de médecins, exerçant dans les établissements de santé publique ont présenté leur démission en raison des pressions et de la violence dont ils sont la cible dans les hôpitaux, outre les mauvaises conditions de travail, citant particulièrement l’encombrement existant. Selon les chiffres officiels, ces démissions concernent presque 7% des médecins en exercice, alors que durant les quatre dernières années elles ne dépassaient pas les 3%. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est qu’il y a eu des démissions y compris parmi les nouvelles recrues. En effet, sur les 912  médecins recrutés en 2012, et ce toutes spécialités confondues, 62 ont déjà présenté leur démission.

Les raisons invoquées ? Agressions de plus en plus sérieuses et fréquentes allant jusqu’aux   menaces de mort, conditions de travail lamentables, le minimum en matériel n’existe pas (pas de tensiomètres, de thermomètres, de bandelettes pour les premières analyses, de téléphone, etc.), les problèmes relationnels entre médecins, paramédicaux, chefs de service, résidents, internes sont exacerbés, la formation n’existe plus (les séniors ne veulent plus apprendre aux plus jeunes). En outre, dans le secteur privé, grâce à la CNAM, on multiplie au moins par 5  le salaire perçu par le médecin dans le secteur public : ce sont là toutes les raisons de ces démissions par centaines.

 

Haltes aux violences contre les médecins !

Le docteur Ben Salah a tiré la sonnette d’alarme en ce qui concerne les violences : «L’hémorragie des agressions physiques et verbales à l’égard du corps médical n’a pas cessé. Les médecins exigent la prise de mesures urgentes pour endiguer ce phénomène qui prend de l’ampleur». On citerait quelques exemples, dont le lynchage d’un interne à l’hôpital Rabta à coups de bâton, le cas d’un médecin de Kasserine à qui un malade a coupé l’oreille, ou celui d’un chirurgien de l’hôpital Charles Nicolle menacé de mort si l’opération qu’il devait mener ne réussissait pas.

 Pourquoi ce changement dans l’attitude des malades et leurs accompagnants vis-à-vis des médecins ? Il est vrai que l’indiscipline est une des premières acquisitions post-révolution en Tunisie, mais il y a un motif à cela : l’image donnée par nos hôpitaux n’est pas du tout rassurante. Quand on amène un malade aux  urgences ou, même, quand on se rend à la consultation de jour, l’ambiance est telle qu’on se demande si on ne fait pas fausse route : est-on vraiment dans un hôpital ?   Le «silence : hôpital», les murs immaculés, les infirmières souriantes, cela n’existe plus que dans les films. Les médecins sont très souvent dépassés par la file intarissable de patients, les laboratoires sont saturés, les rendez-vous des explorations ou des hospitalisations sont si tardifs que les patients deviennent nerveux.

Le Directeur général de la santé par intérim a reconnu que «les structures publiques sont presque mal équipées et qu’un programme d’urgence est susceptible de redresser le secteur de la santé publique. Il s’attaque aux impérieux obstacles que sont le manque d’équipements de base, de médicaments et de personnel médical et les inégalités régionales et sociales». Selon le témoignage de certains médecins, s’il y a une pénurie dans le matériel médical, c’est aussi parce que «tout disparait» en un temps record, sans compter les fuites d’oxygène, le gaspillage de gants stériles pour des actes ne nécessitant pas d’asepsie, le chauffage fonctionnant au maximum dans des chambres aux fenêtres grandes ouvertes, les médicaments détournés. Dans ces conditions, les moyens de l’hôpital s’amenuisent tous les jours et le malade ne trouve pas son compte et le médecin non plus.

Les chefs de service, eux, finissent par se lasser de ces problèmes et la motivation s’en ressent. Les résidents et les internes sont plus ou moins livrés à eux-mêmes, obligés d’apprendre sur le tas, se plaignant d’ailleurs du manque d’encadrement de la part de leurs ainés (ce problème a fait l’objet d’une enquête de la part du ministère de la Santé). L’ambiance entre les anciens et les nouveaux médecins en pâtit, les tensions augmentent.

Au bout de quelques années passées dans ces conditions, les médecins n’ont plus qu’une seule envie : quitter l’hôpital le plus vite possible. D’autant plus que dans le privé et depuis l’avènement de la CNAM, les spécialistes ne chôment plus.

Que peut faire le ministère de la Santé pour améliorer l’image de l’hôpital, préserver son système et ses médecins ? Les programmes proposés sont nombreux et intéressants, mais il n’y a rien à faire, pour l’instant. Il faudrait peut-être sensibiliser le citoyen à l’importance de l’hôpital public.

Le ministre a refusé les démissions, mais certains médecins sont, quand même, partis ; d’autres sont retenus malgré eux, mais leur décision est prise, ils finiront par partir.

Samira Rekik

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