Démocratie et économie : Un duo trompeur ?

La déroute économique de la Tunisie post-2011est inquiétante! Non seulement pour le bien-être et les aspirations des Tunisiens, mais aussi pour les économistes et analystes du monde académique. Rappelons que la mèche de la révolte du Jasmin a été belle et bien allumée par des revendications et slogans, exigeant un meilleur pouvoir d’achat, plus d’emplois et moins de précarité. Ceux qui ont gouverné depuis ont surfé sur ces slogans et ont promis monts et merveilles, pour finalement ne pas tenir leurs promesses économiques. Un flop sur toute la ligne!
A se demander s’ils croyaient que les libertés démocratiques sont mécaniquement porteuses de prospérité économique! Qu’est ce qui a foiré pour que la démocratie génère plus de désenchantement plutôt que plus de prospérité ?
La question mérite d’être posée et on questionne ci-dessous la théorie économique pour en savoir plus, et probablement en finir avec un mythe.
Mais d’emblée, la Tunisie apparait comme la preuve criante mettant en évidence le peu d’impact de la transition démocratique sur la croissance économique et sur la prospérité. Les caisses de l’État sont vides, la banqueroute guette le pays, le chômage atteint des sommets, le dinar est divisé par deux, …et la liste de ces indicateurs virés au rouge est longue.

Controverses académiques
Robert Barro, économiste mondialement reconnu en matière de croissance endogène, a déclaré dès 1997 : «More political rights do not have an effect on growth.»
La Tunisie dite démocratique n’a pas démenti ces propos, bien au contraire, elle a apporté la preuve irréfutable que le modèle de démocratie mis en place dans la Tunisie post-2011 a généré la récession, la décroissance, la pauvreté et le désespoir social.
Et cela n’est un tabou pour personne! Davantage de «démocratie» a entraîné davantage de déchéance économique : le PIB par habitant, une mesure souvent utilisée pour résumer le pouvoir d’achat, voire le bien-être, a été amputé de presque 20% entre 2010 et 2020, en $US constant. Jamais dans l’histoire de la Tunisie indépendante (depuis 1956), le pays n’a enregistré une telle débâcle économique.
Et c’est l’effet boule de neige : une baisse du PIB per capita, c´est aussi moins de services de santé, une baisse de l’espérance de vie, moins de services en éducation, plus d’instabilité et plus de mal-être (nuisance, insalubrité, insécurité, violence, …) et une corruption généralisée, simplement « démocratisée»!
D’autres économistes et politistes issus du monde académique ont prétendu le contraire et ont martelé dans les oreilles des plus sceptiques :«Democracy does cause growth».
Autrement dit, la démocratie créé de la croissance, procure plus de richesse, plus de services publics et plus de pouvoir d’achat.
Leur argument soutenu sur la base des analyses chronologiques et transversales est simple : la démocratisation boosterait le PIB per capita de près de 20 % à long terme (50 ans ou plus). On parle ici de l’Espagne, du Portugal, de certains pays de l’Est, mais d’aucun pays arabo-musulman. D’aucun pays dépourvu de ressources naturelles, comme la Tunisie, Le Liban, ou encore Madagascar !
Ce qui est certain, c’est que le PIB per capita est fortement corrélé à l’espérance de vie, aux compétences de la jeunesse, à plus d’émancipation de la femme, à une meilleure qualité de vie… à plus d’infrastructures et plus d’équité homme-femme. La relation entre économie et démocratie est bidirectionnelle, dans une certaine mesure.
Philippe Aghion, Paul Romer et Daren Acemoglu ont multiplié les publications à fort impact de citations, au sujet du duo démocratie-économie.
Et dans plusieurs des récentes publications, on introduit une autre variable dans l’équation. À savoir, l’innovation et le progrès technologique…
L’innovation, définie comme la création de nouveaux produits/processus et institutions, ou l’amélioration d’anciens produits/processus et institutions, apparait désormais comme la principale locomotive de la croissance économique.
L’innovation médiatiserait la relation entre démocratie et croissance économique et ce, par sa capacité à faire de la destruction créatrice, comme l’avait préconisé Joseph Alois Schumpeter, depuis les années 1940.
Sans innovation (réformes), point de croissance et point de progrès.
Sans innovation, la démocratisation ne peut que désenchanter ses aspirants.

La Tunisie absente des radars de l’innovation
Et ici, la Tunisie est absente des radars de l’innovation, silence radio!
Avec une Administration pléthorique, incapable de se moderniser et de livrer en ligne ses documents, ses subventions, ses contrôles… Encore à l’âge de la pierre, il faut faire la queue des heures au soleil, assis sur des pierres de chantiers, et attendre que nos fonctionnaires finissent de discutailler, de siroter leur café…pour nous dire enfin, revenez demain!
Avec presque 800 000 fonctionnaires, 300 000 de plus depuis 2011, les compteurs des gains de productivité sont à plat, au mieux un zéro comme trajectoire. Alors qu’au Maroc, ces gains de productivité du travail frôlent les 4 % par an.
La Tunisie, et particulièrement les économistes tunisiens, doit multiplier les recherches empiriques au sujet de ces causalités complexes, en diversifiant les choix méthodologiques et en utilisant des données économétriques… et en laissant de côté l’idéologie et la rhétorique verbeuse. Les économistes tunisiens doivent publier plus à ce sujet et occuper le terrain sans attendre que le FMI fasse ces études à leur place…
Il faut renouveler les approches et associer davantage les doctorants et la relève méritante.

Que dit la théorie économique sur la démocratie ?
Plusieurs économistes internationaux affirment que l´effet bénéfique de la démocratie sur le développement économique dépend du nombre de personnes ayant atteint le niveau secondaire en termes d’éducation.
Autrement dit et formulé crûment : démocratiser une nation d’ignorants, de fatalistes et d’illettrés n’apporterait pas de bienfaits économiques! Et ici, le constat est dur-dur à avaler!
Certains économistes affirment l’existence d’un effet lune de miel lorsqu’un pays entame un processus de démocratisation : en général, les phases de démocratisation viennent après des phases de tensions, de manifestations qui font chuter le PIB. Ensuite, on ne peut que s’attendre à une relance de croissance.
Hélas, ce n’est pas le cas de la Tunisie. La mal-gouvernance de l’ère post-2011 n’a généré aucun rebond du PIB, à la suite de la démocratisation annoncée.
La Tunisie, en contre-exemple! En cancre dans la classe des pays qui se démocratisent et qui font 10% de taux de croissance: Érythrée, Rwanda, etc. Le Sénégal fait du 6%, le Maroc 7%, et bien d’autres! 

Faire le bilan et parier sur l’innovation
La théorie économique ne va pas jusqu’à se positionner pour aux sociétés quel est le meilleur choix de modèle de fonctionnement sociétal.
David Ricardo a démontré, depuis le 19e siècle, l’importance du libéralisme où le «laisser- faire» conduit au meilleur des mondes, dans chaque pays, région, municipalité …et bourgade.
Plusieurs économistes ont plaidé la cause de l’homo œconomicus, un rationnel qui sait choisir ce qui est le mieux pour lui sans se soucier de l’autre! La main invisible d’Adam Smith s’occupe du reste : «le vice, qui conduit à la recherche de richesses et de puissance, produit involontairement de la vertu parce qu’en libérant les appétits, il apporte une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société».
Ainsi, sous certaines hypothèses (concurrence pure et parfaite, rationalité, transparence, globalisation, etc.), tout un chacun finirait par optimiser son surplus (ses avantages) pour converger vers un optimum (de Pareto) où il serait impossible d´améliorer la satisfaction de certains sans pénaliser celle des autres (optimum de Pareto).
C’est Kennet Arrow qui étonne le plus au sujet de la démocratie avec son célébrissime théorème d’impossibilité de la démocratie (1951).
Arrow dit en substance que si chaque acteur est rationnel, alors il est impossible de se mettre tous d’accord sur tous les critères qui définiraient le meilleur des meilleurs des mondes possibles. En cause du théorème de l’impossibilité démocratique d’Arrow, l’intransitivité des préférences individuelles. En affirmant «il est impossible d’agréger les préférences individuelles en préférences collectives».
Dix ans après la révolte du Jasmin, la Tunisie exige des résultats économiques, ses citoyens veulent que le gouvernement fasse le bilan de la décennie et aille de l’avant avec un plan de relance économique capable d’inverser la vapeur.
Avec l’aide de Winston Churchill, on peut nuancer le débat en disant simplement : «la démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais des systèmes».
En Tunisie, le modèle de transition démocratique de l’après 2011 a été certes contre-productif, incapable de réformer, hors-jeu des enjeux de l’innovation, de la compétitivité et de la libre initiative économique. La politique monétaire a empiré les choses en s’érigeant par son taux d’intérêt directeur en épée de Damoclès et en obstacle à l’investissement et à la création de la richesse.
In fine, la transition démocratique en Tunisie ne doit pas perdre espoir! Pour sa survie, il est vital d’agir vite pour prendre des mesures réformatrices, des mesures douloureuses et souvent impopulaires. Le tout pour relancer l’économie, en impliquant les partis et les élites qui sont capables de reconnaître et d’apprendre de leurs erreurs passées.

*Universitaire au Canada

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