Dénonciation de l’obscurantisme

Durant 72 heures, les obsèques du président, grandioses, procurent à Macron, l’occasion d’adresser un bras d’honneur au cheikh Rached Ghannouchi et d’expliciter un vibrant hommage à Béji Caïd Essebsi. En guise d’oraison funèbre, Macron, l’invité au discours le plus long, dénonce les ténèbres combattues par Béji, le bourguibiste convaincu. Il fut l’unique intervenant à oser employer le terme « obscurantisme » et, à l’audition de ce mot, très chargé, le cheikh politisé ne pouvait ne pas se sentir visé. Par cette prise de position, le président français intervient au cœur de la compétition déployée entre le bourguibisme et le takfirisme.
Le camouflet flanqué au dirigeant nahdhaoui inscrit un but au profit de Béji, même parti, à l’heure où l’implosion de l’approbation populaire libère l’élan pour une part masculin, mais surtout féminin. Les pleurs, malaisés à refouler, signaient la différenciation par chacun observée. Le tir au but, réussi par Macron, conforte la voie tracée par Bourguiba.
Mais à l’orée des prochaines élections, gare à l’art de trop vite crier victoire. Car sans même bouger les pieds, Ghannouchi marque un but si peu remarqué tant il fut discret. A ce propos, Macron, en homme des lointains, surfe à la surface des flots profonds. Sans rien dire, ni recourir à son armée secrète, le cheikh parle à ses ouailles demeurées hors de l’arène où Béji règne.
Ému jusqu’aux larmes, le nouveau président par intérim, Mohamed Ennaceur, peine à étouffer un sanglot répété. Cependant, hormis les informations égrenées tout au long des manières funéraires, la psalmodie coranique, dédiée au défunt, occupe tout le temps des techniques médiatiques, fussent-elles radiophoniques ou audio-visuelles.
Or, la pratique politique de Ghannouchi, folâtre, sans répit, sur ces mêmes versets coraniques, sans la transposition du plan religieux au champ des luttes politiques, je ne sais si cet homme serait là où il est. Pour cette raison, maints commentateurs évoquent l’insoutenable manipulation.
Certains d’entre eux vont jusqu’à soupçonner l’irréligiosité de notre ami Ghannouchi tant il tord le cou du Coran pour continuer à dialoguer avec les égarés. Plus conforme aux normes sacerdotales, Abou Iyadh proclame incompatibles un pouvoir démocratique et une autorité prescrite par la divinité.
« Nous sommes ici par la volonté du peuple », disaient les constituants à la Bastille, après les révolutionnaires américains.
Mais revenons à nos moutons, d’ailleurs sans jamais les avoir quittés. Béji-Ghannouchi 1 à 1 quand l’arbitre siffle enfin, la fin de la partie.
Chacun des clans, l’air petit malin, retourne chez lui et rumine son butin. Mais c’est compter sans Wajdi Ghanim. Au moment où « le peuple entier debout » pleure son leader, l’équipe élargie de Ghannouchi tente un second essai au profit des nahdhaouis.
Le cheikh exciseur, ce « plus froid des monstres froids » déverse la haine et le fiel sur le président exceptionnel. Comment l’idiot peut-il être à ce point salaud quand les sécuritaires, fidèles au message patriotique et unitaire du chef suprême, offrent à boire aux femmes, aux enfants et aux hommes rassemblés sous un soleil de plomb, pour honorer le départ de l’adoré ?
Mais prompt à la détente, Chahed intercepte la balle pipée. Il interdit au takfiriste à esprit borné, langue fourchue et pieds arqués, de profaner le sol où Bourguiba et Béji reposent en paix, le premier à Monastir et le second au Jellaz, deux lieux emblématiques des luttes menées contre le colonialisme éhonté. Quelle problématique suggère le but marqué par la psalmodie coranique ? Une lecture du Coran accompagne la mort depuis les temps mohamétans.
Mais elle arbore une signification particulière et spécifique en fonction des situations. Je l’ai déjà dit, Ghannouchi fourre un pied là, et l’autre ici. Voilà pourquoi la psalmodie lui réussit. Avec ce diptyque, nous retrouvons le principe épistémologique mis à l’œuvre dans les sciences économiques et la démarche anthropologique. Le champ d’investigation infléchit le choix du modèle retenu pour l’explication. Pour ouvrir plusieurs portes, un trousseau de clefs vaut bien mieux qu’une seule.
Ainsi, la conjoncture de la bipolarisation sociale incite à découvrir un sens nouveau donné à une lecture immémoriale.
Une fois le domaine de recherche délimité, il guide vers la technique d’investigation appropriée. A chaque enquête, elle est à trouver.
Alors, plus rien ne va de soi et tout devient étrange, autrement dit à élucider par le muni d’une boite à outils. Le tenant du sens commun, surtout s’il est croyant, serait peu disposé à reconnaître ou admettre une double signification attribuée à la récitation du Coran.
Mais croire n’est pas savoir. Car soutirer un intérêt politique de la croyance religieuse attire le soupçon à l’instant même où l’exploration de cette bifurcation ouvre l’une des pistes suivies par la sociologie de la religion. Avec ou sans l’article premier, celle-ci imprègne divers aspects de la vie sociale, allant de la mort au sport. Surexcitée, la foule des supporters se met à crier : « Tunisie ya Tunisie, im3ak rabi winnibi ».

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