Depuis quand y a-t-il des bilans ?

A chaque nouvel an, les médias songent aux bilans. Cependant, ils ne soulèvent guère la question du moment où ces rapports-là n’existaient pas. Quelle est donc la raison théorique et pratique de cette longue absence historique ?

Dans l’ancienne société, les secteurs économique, politique, juridique ou religieux formaient une totalité indifférenciée.
A ce propos, les anthropologues mentionnent « l’indistinction des champs sociaux ».
Dès lors, comment expliciter, entre autres données, le taux d’inflation quand l’économie ne donnait guère à voir un monde à part ?
L’illusion de la continuité temporelle maquille la différenciation des étapes traversées par les contenus de la société. L’infanticide, l’esclavage, la polygamie, la royauté fleurissaient puis disparaissaient mais demeure l’appellation de la collectivité où ils apparaissaient. Mata ista3badtom annassa wa kad waladathom ommahatouhom ahra ? Nous cultivons une vision erronée de l’historicité.
De même, chaque individu se croit toujours le même et c’est là, une manière de voir au plus haut point dérisoire. Nous donnons un sens invariant à la vie en perpétuelle transformation.
Or la vie n’a pas de sens.
Dans Macbeth, Shakespeare écrit : « C’est une histoire que conte un idiot, une histoire pleine de vie et de fureur, mais vide de signification ».
Dans « le miroir qui vient », A. Robbe-Grillet enfonce le clou aux fous : « Tout cela, c’est du réel, c’est-à-dire du fragmentaire, du fuyant, de l’inutile, si accidentel même et si particulier que tout évènement y apparaît à chaque instant comme gratuit et toute existence en fin de compte comme privée de la moindre signification unificatrice ».
Les appellations Amérique, Angleterre et Israël désignent chacune « un point fixe dans un monde mouvant », mot de P. Ziff. Au moment où les deux premiers cités frappent le Yémen, ils inscrivent par pertes et profits la transformation géopolitique en marche contre leur intérêt mal compris. Pour cette raison, John Kirhy dit : « Nous ne cherchons pas de conflit avec l’Iran. Nous ne cherchons pas une escalade et il n’y a pas de raison qu’il y ait une escalade au-delà de ce qui a eu lieu ces derniers jours ».
Il s’agit, pour lui, d’empêcher le conflit palestino-israélien de « s’étendre et de se transformer en conflit plus vaste ». Une fois le Yémen attaqué, l’agresseur lui conseille de garder les bras croisés. Mais une marée humaine envahit la vaste place Sabine et crie : « Mort à l’Amérique, mort à Israël ».
Le vice-ministre des affaires étrangères des Houthis dit : « Les États-Unis et le Royaume-Uni doivent se préparer à payer un prix fort et supporter les lourdes conséquences de cette agression ». Cependant, appréhender l’escalade et l’extension du conflit cligne vers l’envers de la médaille exhibée depuis la guerre mondiale par les États Unis. Car asséner un coup et réclamer aussitôt l’absence de réaction adverse paraît, quelque peu, curieux. Est-ce par sagesse et amour voués à la paix ? Cela semble improbable de la part d’un impérialisme déchaîné. Une autre hypothèse pointe le nez, la conscience de l’immense ressentiment et de ses possibles conséquences. Quand l’actuelle suprématie militaire esquisse un pas en avant et deux pas en arrière au nom de la sacro-sainte retenue, pareille danse sur place a l’air de jauger l’envergure acquise, déjà, par les divers adversaires. Comment neutraliser à la fois la Russie, l’Iran, la Corée du Nord, la Chine et la Palestine à l’heure où l’Afrique du Sud, pays de Mandela, porte plainte au CPI contre le génocide commis par les éternels assassins israélo-américains ?
A cette pression, les otages ajoutent leur appoint avec la manifestation, bien vive, organisée le 13 janvier à Tel Aviv. A la différence des Anglo-Américains, aucune retenue ne convient aux tueurs israéliens.
Natanyahu, importuné en vain par les justices du CPI et de son pays, perpétue la guerre diabolique au profit de sa propre survie politique. Toutefois, une réaction en chaîne, quasi partout, disperserait la puissance américaine à partir du Yémen. L’un des innombrables manifestants Abdel Azim Ali dit : « Si l’Amérique et ses alliés décident de nous déclarer une guerre ouverte, nous y serons prêts et nous n’aurons d’autre choix que de remporter la victoire ou de tomber en martyrs ». Namoutou.
Le défi adressé par un tel état d’esprit est au principe de la prétendue retenue adoptée juste après avoir agressé. Par leur durée, les guerres ukrainienne et israélienne élargissent le front de l’armée américaine.
Elle serait disposée à intervenir partout mais la dispersion peut en venir à bout. Voilà pourquoi Hezbollah observe la transformation et attend. Abdelmalek Al Houthi et Hassen Nasrallah proclament, à juste titre, choisir le moment où ils répliqueront.
La menace focalisée sur les USA mijote ça et là. Les agresseurs israélo-américains fourbissent leurs armes et, pour les agressés, le droit vaincra.
Voué à ce critère, ce n’est guère le CPI qui dira le contraire. Deux observations paraissent requises en dernière analyse. La première pointe vers la condamnation éthique et politique des puissances maléfiques. La seconde a partie liée avec la fébrilité militaire d’une Amérique dispersée entre l’Irak, le pays du Cèdre, la Palestine, la Syrie et le Yémen héroïque. De nos jours, l’exaspération des conflits armés propulse le bilan guerrier à l’avant-scène de l’actualité.

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