Sous le couvert du respect de la «liberté d’expression», principe fondateur de la démocratie et valeur cardinale en terre du «printemps arabe», un député islamiste a publié sur son compte Facebook un enregistrement fuité attribué à l’avocate et chroniqueuse Maya Ksouri, contenant des accusations d’ordre strictement personnel, qui peuvent s’avérer infondées et diffamatoires. Un spectacle nauséeux que des dizaines de milliers de personnes ont partagé sur Internet (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram et différentes plates-formes alternatives ). Cette tentation de lynchage est d’autant plus odieuse qu’elle s’exprime dans le lâche confort de la fameuse «immunité parlementaire» à propos de laquelle nos députés ne veulent pas reconnaître qu’elle est une manifestation de la séparation des pouvoirs en même temps qu’une garantie de la démocratie. Mais elle ne constitue en rien un régime d’impunité, a fortiori pour des actes sans lien avec le mandat parlementaire, et elle n’interdit nullement qu’une poursuite soit ordonnée. Le problème ne se limite pas à l’incitation à un voyeurisme extrêmement malsain. Il participe d’un prosélytisme populiste des plus dangereux. L’heure est désormais au terrorisme de l’Inquisition ! Quels buts, quelle visée politique et, au-delà, quelle idée de la démocratie peuvent conduire à une infamie de cette ampleur ? Rien que des sottises, balourdises et autres crétineries. La plupart des Tunisiens ont vécu cela comme un désastre, un tsunami qui a aboli les valeurs et emporté les repères. Ce fléau est devenu leur première obsession. Sidérés, ils comptent les points sans toujours réaliser l’ampleur du risque pour le pays. Alors que le chaos frappe à l’aveugle la scène politique, un député devrait-il agir tel un « parrain « ? Député et inquisiteur ? Peut-on, faut-il être les deux à la fois? Questions qui ont fait couler beaucoup d’encre et alimentent des discussions depuis plus de dix ans. Et qui n’ont pas fini de nourrir maintes querelles. Il faut mettre en garde tous les acteurs politiques contre la complaisance, active ou verbale, dont ils peuvent faire preuve à l’égard de ces velléités immorales choquantes, parce que autant ils sont déstabilisés et extraordinairement vulnérables aux «théories du complot», autant les inquisiteurs «immunisés» pensent pouvoir surfer sur la tempête. Il faut aussi fustiger les (ir) responsables au pouvoir qui jouent avec le feu, attisent ce climat de haine et excusent, quand ils ne les justifient pas, ces agressions contre la vie privée des gens. Le dilemme est vertigineux : faut-il renoncer à la démocratie pour endiguer cette propension à régresser et à céder aux comportements les plus dangereux, ou attendre que celle-ci ait raison de la démocratie, voire de tous nos acquis de libertés ? Entre ces deux sombres perspectives, il nous reste la liberté de choisir une autre voie. Un sursaut civil d’une force considérable -venant tant des intellectuels que des simples citoyens- peut encore nous permettre de concilier la sauvegarde de notre vie privée et la survie de la démocratie. Encore faut-il que chacun ait désormais pleinement conscience des enjeux, et s’attelle à trouver des remèdes. Nous considérons en effet que, pour un citoyen conscient et responsable, dénoncer ces torts ne revient pas à restreindre mais bien à augmenter la liberté d’informer, et la crédibilité pour y parvenir. Il faut livrer une bataille sans merci à ces tenaces dérives qui ont pris de nouvelles formes, depuis l’avènement des réseaux sociaux, et qui installent la classe politique tout entière à demeure du côté des caricatures, des scandales, de l’errance. Reste qu’on pourrait répondre aux «inquisiteurs immunisés», qui se prêtent à des jeux de posture, sans vraiment se rendre compte qu’ils creusent ainsi leurs propres tombes politiques, à la manière d’un personnage révolutionnaire de l’éminent écrivain et dramaturge Mustapha Fersi dans «Haraket» (voyelles/mouvement), édité en 1978 : «Ah monsieur l’indicateur, dans le blasphème il y a quelque amour de la patrie !»