Député le jour, romancier le soir

Il y a des personnes que l’on croit bien connaître mais que l’on ne découvre jamais totalement. Mon ami, Mustapha Ben Ahmed, membre de l’ARP et figure syndicale bien connue en fait partie. Je savais à travers ses articles de presse qu’il maniait la plume avec dextérité mais je ne pensais pas qu’il cachait, en outre, un talent de romancier. Il y a quelques jours, au cours d’une rencontre où il m’exposait avec sa faconde coutumière son point de vue sur la situation politique du pays, j’eus l’immense plaisir de recevoir de ses mains son premier roman *; autant dire que je me suis plongé le jour même dans sa lecture autant par amitié que par curiosité.
Bien que n’ayant pas les qualifications d’un critique littéraire, ma fréquentation assidue des livres m’a permis, au fil du temps, de distinguer le bon grain de l’ivraie. Le roman de notre élu se lit d’une traite tant son écriture est élégante et son style assuré. Si Mustapha possède une maîtrise de la langue arabe que lui envieraient mêmes les diplômés les plus bardés en lettres. Comme quoi il est nul besoin de passer des années sur les bancs d’une université pour manier notre belle langue à la perfection.
Au-delà de la qualité du style de l’auteur, le roman nous tient en haleine par la force des images et de l’intrigue qu’il recèle. Le héros du livre est un jeune journaliste issu d’un milieu modeste qui se heurte aux contradictions d’une société injuste et qui méprise l’esprit. Si Mustapha n’a pas cherché à rattacher son récit à la Tunisie. Son héros, Khalil pourrait vivre à Alger, au Caire ou dans n’importe quelle autre ville du monde arabe : les mêmes angoisses et les mêmes frustrations sont partagées par les intellectuels d’une région en proie à une entropie croissante.
En homme de Gauche, pétri de culture humaniste, Si Mustapha sait brillamment mettre en scène le malaise social qui plombe nos sociétés et l’amenuisement de l’espoir qui jette certains de nos jeunes sur des embarcations de fortune.
Pour autant, l’auteur n’a pas cherché à faire un roman social où la sensiblerie de mauvais aloi et la larme facile se côtoient. Bien au contraire, Si Mustapha reste romanesque en se focalisant sur le destin d’un homme tourmenté à la recherche d’une femme qui le hante sans jamais parvenir à l’atteindre. Si Mustapha possède l’art des descriptions sobres et son ouvrage ne lasse jamais grâce à ses phrases courtes et chargées de sens. On perçoit ses convictions et ses inclinations sans que cela ne vire au livre engagé ou au manifeste politique.

Si nous pouvions compter à l’ARP plusieurs députés ayant les dons littéraires de Si Mustapha nul doute que les débats qui s’y tiennent auraient une autre tenue que ceux auxquels nous sommes souvent conviés. L’invective, la goujaterie et le mauvais goût ont été souvent les marques de fabrique de notre représentation nationale et tout le talent de notre auteur n’y changera rien. Mais en dehors de l’hémicycle, il y a heureusement encore des lecteurs à l’affût de nouveautés comme celle que Mustapha Ben Ahmed nous offre si généreusement.

*« الحالم الأخير في مدينةٌ تموت »  (El Halim El Akhir fi madinaten tamout). Editions Karem Cherif 2018

 

 

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