Le paysage politique fragmenté issu des dernières élections, laisse présager une grande instabilité, de fortes tensions et beaucoup d’incertitudes. Après l’euphorie provoquée par l’éviction d’une classe politique qui a enfoncé le pays, plus de huit ans durant, dans une crise structurelle dont le prix à payer sera très coûteux par toute la communauté, le temps de la désillusion est venu. Il a suffi d’un laps de temps assez court pour se convaincre du gâchis qui attend les Tunisiens de l’entrée en scène de nouveaux acteurs auxquels il manque l’essentiel. A savoir la compétence, la capacité de répondre aux aspirations des Tunisiens et surtout, la disposition à cohabiter dans un climat explosif où la suspicion et les surenchères sont érigées en règle de conduite.
On s’aperçoit avec une sorte de fatalité, de l’impuissance manifeste des uns et des autres à pouvoir remettre en ordre de marche un pays qui risque à tout moment de sombrer dans une crise multidimensionnelle et de conduire un changement qui paraît, plus que jamais, illusoire.
Faute de repères, chacun improvise comme bon lui semble. Ne disposant ni de vision ni d’alternative, ces nouveaux acteurs risquent d’amplifier par leur incohérence les maux dont souffre le pays et surtout, de le précipiter dans le doute et l’anarchie.
Dans la cacophonie qui règne, chacun travaille en ordre dispersé et toutes les parties ne font qu’attiser, par leur imprudence et insouciance, les feux de la discorde. Aucune harmonie. Les trois chefs d’orchestre jouent faux et dans un certain désordre. Les accords semblent plus que jamais difficiles à trouver et les dissonances rendent inaudible toute partition homogène.
Le plus grave dans tout cela, c’est que les improvisations faites par les uns et par les autres sonnent mal, reflétant plus une ignorance des affaires publiques que toute autre chose.
Plus d’un mois après son investiture, le président de la République, malgré les pouvoirs limités que lui confère la Constitution, peine à trouver le bon terrain pour signer sa présence et faire valoir surtout la légitimité populaire qu’il a acquise en obtenant plus de 72% des suffrages. Hormis les petites sorties qu’il a eu à faire dans certaines régions, parfois dans un contexte tendu, on n’a décelé jusqu’ici aucun signal clair sur le plan diplomatique. Qu’il s’agisse de nos relations avec notre premier partenaire économique, nos voisins les plus proches, les grandes puissances ou les pays arabes, un nuage épais perdure. Outre le ballet de réceptions de personnes venues de tout bord qui consacre parfois la démarche quelque peu populiste qu’il a choisie, pour le reste, que de fausses notes.
L’audience accordée à l’écrivain et journaliste palestinien Abdel Bari Atwan a fourni la preuve de ce qu’un président de la République ne doit pas faire, ou plutôt ne doit pas révéler s’agissant des secrets de l’Etat. Les révélations croustillantes que Abdel Bari Atwan a trouvé un malin plaisir à divulguer à travers You Tube sur les raisons profondes qui ont conduit le Président Kaïs Saïed à congédier le ministre des Affaires étrangères, surprennent autant qu’elles déçoivent. Un président ne dit pas cela à un étranger et ne confie pas au premier venu les secrets de son pays.
Il en est de même pour les déclarations qu’il a faites, suite au tragique accident de la circulation de Amdoun. En s’en prenant frontalement aux services douaniers, coupables à ses yeux de bloquer tout, il leur a fourni le bon argument pour l’attaquer sur l’essentiel. Ce cas, comme bien d’autres, illustre l’existence d’un dysfonctionnement au niveau de la communication au sein de nos institutions et de grandes carences s’agissant de la gestion des situations de crise.
Le Chef du gouvernement désigné ne fait pas mieux. Dans le processus compliqué qu’il est appelé à piloter, il apparaît étrangement seul et démuni. Hormis les évolutions inattendues des tractations engagées avec les différents partis, Habib Jemli multiplie les bourdes et n’arrive, ni à développer un discours, ni à convaincre ceux qu’il est en train de recevoir ou ceux qui le suivent à travers les réseaux sociaux. Ce pseudo-indépendant qui cherche à imiter maladroitement d’autres dirigeants par l’utilisation des nouveaux moyens de communication (You Tube, Twitter…), est tombé dans les travers de l’amateurisme et de l’improvisation. Dépourvu d’expérience dans la vie publique et de conseil, il fait ce qu’il peut, mais maladroitement. Les messages qu’il cherche à transmettre provoquent l’effet contraire, trahissant sa méconnaissance des fondamentaux de la politique et de son jeu.
Enfin, l’ARP reflète l’image d’un bateau ivre. Sans pilote, ni sens de l’orientation, le Parlement est livré à lui-même, à ses propres contradictions et à la loi de ceux qui stigmatisent le plus, calomnient le mieux et accusent sans retenue aucune leurs adversaires politiques. A défaut d’un débat, l’hémicycle se transforme en une sorte de cage aux folles où tous les coups bas sont permis et le vivre-ensemble est presque impossible. A qui profite ce dérapage incontrôlé ? Sûrement pas aux Tunisiens.
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