Nous sommes à la veille du 3e round de négociations entre l’Union européenne et la Tunisie relatives à l’instauration éventuelle de l’Open Sky en Tunisie.
Les compagnies aériennes tunisiennes, soutenues par les autorités de tutelle, y sont farouchement opposées pour le moment, par crainte d’une concurrence à armes inégales avec les compagnies low cost, tandis que les hôteliers et les agents de voyage le réclament avec force espérant qu’il amènera davantage de touristes dans notre pays pour diverses raisons. Le débat ne fait que commencer. Réalités fait le point de la situation.
L'Open-sky est l’ouverture du ciel, la déréglementation du transport aérien. Il entre dans le cadre de la mondialisation de l’économie et de la libéralisation des échanges. Toutes les compagnies aériennes qu’elles soient régulières, charters ou low cost, qu’elles soient de la nationalité du pays de décollage, ou de celui de l’atterrissage ou non, peuvent desservir le pays. En effet jusqu’ici le transport aérien était régi par des accords bilatéraux négociés entre les pays européens et la Tunisie, aéroports de décollage et d’atterrissage, fréquences et horaires, capacités…
Par exemple TUNISAIR ne pouvait pas à partir d’un aéroport français desservir une ville italienne, allemande ou espagnole sans un agrément spécial des autorités aéroportuaires françaises, allemandes, italiennes et espagnoles.
Et vice-versa pour Air France pour desservir à partir de Tunis-Carthage un aéroport algérien, libyen ou marocain, c’est ce que l’on appelle la 5e liberté dans le jargon des commandants de bord et de la navigation aérienne.
L’Open Sky, c’est en quelque sorte la concurrence totale, ou presque, entre toutes les compagnies aériennes quels que soient leur taille, leur nationalité ou leur mode d’activité (régulière, charter ou low cost). Cependant cette concurrence ne peut être loyale que si les armes sont égales, ce qui n’est pas toujours le cas.
L’Open sky, pour quoi faire ?
L’expérience a prouvé qu’une réglementation stricte du trafic aérien était un handicap vis-à-vis de son développement et de sa rentabilité et donc un frein aussi bien pour le développement des activités économiques que pour l’expansion du tourisme.
Actuellement le prix des billets reste élevé, ce qui prive beaucoup de gens à revenus modestes de prendre l’avion, car la flotte des grandes compagnies aériennes n’est pas exploitée de façon rationnelle à cause des restrictions de vols inclus dans les accords bilatéraux conclus entre les pays.
Il faut aussi comprendre que les pays en développement cherchent — ce qui tout est tout à fait légitime — à protéger leur marché et leurs compagnies aériennes qui ont des tailles modestes et qui n’ont pas les moyens techniques et économiques de faire face à la concurrence des grandes compagnies des pays riches : gros porteurs, flotte neuve, réseau commercial étendu, stratégie de communication musclée…
Une position tunisienne nuancée
La position des autorités tunisiennes n’a pas changé depuis le premier round de négociations avec l’Union européenne.
La Tunisie n’a pas d’objection de principe à propos de l’instauration de l’Open Sky en Tunisie, dès lors que certaines conditions de réussite de l’opération sont réunies.
Tout d’abord la mise à niveau et la mise en application du plan de sauvetage de la compagnie nationale TUNISAIR.
Ensuite, la conservation de la part de marché acquise actuellement par le pavillon national, soit un peu plus de 50% ainsi que le maintien de la position acquise par la Tunisie dans les accords bilatéraux.
L’aviation civile européenne doit assister la Tunisie dans la mise à niveau des infrastructures techniques tunisiennes, conformément aux normes européennes.
Il est clair que tout accord éventuel doit comporter des clauses de sauvegarde susceptibles de suspendre l’application de l’accord si des risques majeurs menacent l’activité des compagnies aériennes tunisiennes.
Hôteliers et agents de voyages reviennent à la charge
Plus de 70% des touristes qui viennent en Tunisie empruntent le mode de transport aérien, ce qui fait que le nombre de sièges-avions affecté à la destination Tunisie est déterminant pour l’affluence de la clientèle touristique. Or, les accords bilatéraux provoquent des restrictions vis-à-vis de la clientèle potentielle qui relèvent de plusieurs ordres, rigidité des tarifs, encombrement des vols en haute saison, insuffisance des fréquences et limitations des villes desservies. C’est pourquoi les hôteliers et les agents de voyages tunisiens réclament à cor et à cri l’ouverture du ciel qui, selon eux, amènerait beaucoup plus de touristes en Tunisie grâce à une baisse sensible du prix du transport aérien et au développement de l’offre.
Les hôteliers négligent cependant le fait que pour avoir plus de clients il faudrait améliorer de façon sensible la qualité de leurs prestations de service et mettre à niveau leurs établissements, impliquant la rénovation des agencements et la formation du personnel. L’expérience marocaine en matière de ciel ouvert est plutôt mitigée. En effet, en 2006 le Maroc a instauré l’Open Sky d’où afflux des compagnies low cost, ce qui fait que le transport aérien a progressé de 14% par an entre 2006 et 2011. Ainsi le nombre de touristes y est passé de 5 millions à 11 millions.
Cependant le nombre des unités hôtelières n’a pas suivi le même rythme. Au contraire il a plutôt stagné. Après analyse du phénomène on s’est aperçu que ce sont les Marocains de l’étranger qui ont surtout profité des bas tarifs pour rentrer plus souvent dans leur pays natal tandis que le tourisme résidentiel a connu une accélération, les étrangers achètent des résidences secondaires pour y passer une partie de l’année et rentrent plus souvent dans le pays natal.
Sauvegarder le pavillon national
Certes, les compagnies TUNISAIR, Nouvelair et Syphax ont l’avantage du terrain et sont implantées en plein cœur de leur propre marché.
Mais les carences ne manquent pas pour TUNISAIR, la flotte n’a pas été totalement renouvelée, il y a des sureffectifs de personnel donc des charges financières lourdes, la compagnie est surendettée et cumule trois bilans déficitaires.
Un plan de sauvetage a été mis au point et nécessite 2 à 3 ans pour produire des effets positifs sur la compétitivité de la compagnie. En attendant, TUNISAIR n’a pas les moyens d’affronter une concurrence agressive extérieure découlant de l’Open Sky. Il faut reconnaître que les deux tiers de la clientèle de la compagnie nationale sont des touristes, c’est pourquoi TUNISAIR a toujours veillé à prêter main-forte à la promotion du tourisme tunisien : invitations de journalistes et agents de voyages étrangers, participation aux salons touristiques…
Vers un partenariat gagnant-gagnant
L’instauration de l’Open Sky en Tunisie est inéluctable, c’est une question de temps, car elle fait partie de la logique de l’évolution de l’économie mondiale et partie intégrante du futur accord sur la zone de libre-échange pour les services et les produits agricoles avec l’UE. En fait l’Union européenne cherche à promouvoir l’intérêt de ses propres entreprises qui partent à la conquête des marchés des pays partenaires. Cependant, il faudrait penser au-delà de l’intérêt immédiat. Qui achètera les Airbus fabriqués par l’UE si les compagnies aériennes tunisiennes ont des difficultés financières et commerciales ?
C’est pourquoi les réformes doivent se faire par étapes et les solutions à inventer doivent être des compromis qui ménagent les intérêts de tous les acteurs en présence.
Ridha Lahmar