Dérégulation, dites-vous Mr Salamé ?

Par Aïssa Baccouche

L’autre soir dans un hôtel perché de la capitale et sous l’égide du centre tunisien des relations internationales présidé par Si Khemais Jhinaoui, ancien ministre des affaires étrangères, nous avons été goulûment servis par un cours magistral concocté par Mr Ghassen Salamé ancien ministre de la culture au Liban, ci-devant représentant de l’ONU en Libye et en ce temps professeur à Sciences Po Paris.
Nous avons été subjugués par la maîtrise du temps –une heure pleine et précise – la pédagogie de l’enseignant et le métier de l’homme rompu à ce genre d’exercices.
Quant au fond, il y aurait plutôt débat.
Le discours portait sur l’état du monde en remontant bien sûr aux origines. A scruter les principaux traits de l’histoire contemporaine c’est-à-dire des derniers siècles, Salamé constate que l’humanité a toujours vécu entre guerre et paix. C’est précisément le titre de son dernier ouvrage paru le lendemain de sa conférence.
(La tentation de Mars, guerre ou paix au 21ème siècle édition Fayard).
Est-ce un remake du chef d’œuvre éponyme de Léon Tolstoï (1828-1910). Oh que nenni !
Il s’agit du monde d’aujourd’hui et probablement de demain. Le fil conducteur de la pensée de l’auteur libanais proche, a-t-il affirmé, de l’académicien Amine Maalouf, est tissé de faits réels et de preuves tangibles.
Le planisphère est divisé en blocs qui ne sont pas, loin s’en faut, homogènes.
D’où un déséquilibre porteur de menaces et à tout le moins d’incertitudes.
Mais ce qui est plus grave à ses yeux ce sont les manquements à un certain nombre d’idéaux qu’on croyait, depuis la révolution française, universelles.
Il convoque, à l’appui de sa thèse entre autres référents, Emmanuel Kant (1724-1804).
Premièrement, la démocratie qui, chiffres à l’appui, perd depuis le début du siècle un terrain de plus en plus étendu. Hormis l’Union européenne et encore ! et l’hémisphère Nord-américain, plus personne ne vit en un régime respectueux des droits de l’homme et des libertés.
Deuxièmement, la mondialisation qu’on croyait heureuse pour tout le monde et qui allait générer prospérité et paix, connait, elle aussi, les avatars du libéralisme outrancier.
Troisièmement, la préversion de la culture qui au lieu de rapprocher les peuples, n’a fait qu’attiser les conflits dont les stigmates sont les identités meurtrières, le choc des civilisations et le dernier cri de Samuel Huntington (1922-2008) « How are we ? »
En fin connaisseur des arcanes de l’ONU, Salamé met en exergue ce qu’il considère comme le rural absolu : la dérégulation c’est-à-dire la transgression, par qui nous savons, des règles du vivre-ensemble entre les Etats.
La guerre en Irak déclenchée par Bush Junia en dehors de toute forme de légalité onusienne, en est la parfaite illustration. Des lors, il ne fait pas de doute que ce forfait  peut faire tache d’huile.
Poutine, le russe, n’est pas moins téméraire que le « Shérif » américaine. Les chinois s’appètent à reconquérir Formose l’île détachée en 1947, dussent-ils affronter le courroux du cénacle de Manhattan.
D’ailleurs, Israël a montré le chemin en rejetant cavalièrement toutes les résolutions des instances de l’ONU.
Irrité par une décision onusienne de Gaulle (1890-1970) d’ordinaire prompt à employer des propos amènes réagit en 1960 par un quolibet : « L’ONU, ce machin ! ».
Eh bien, mon général, ce machin a été créé par la France, les Etats-Unis, la Russie, le Royaume uni et la Chine pour asseoir par le biais d’un droit régalien – le véto – la suprématie des vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Cette turpitude inique perdure encore.
Combien d’enfants palestiniens doivent mourir sous les bombardements d’un Etat voyou pour que le représentant US au conseil de sécurité ne lève plus le bras pour signifier son refus d’un cessez – le – feu, sans cesse réclamé par ses pairs.
Toute la colère du monde n’ébranlera guère le soutien franc et massif de l’oncle Sam à ses protégés meurtriers.
Au-delà du dérèglement ainsi décrié par notre visiteur d’un soir, le conseil dit de sécurité vit dans un dérèglement au sens où il fait fi de toutes les valeurs morales.
A l’évidence, cet organe de décision, vieux de près de 80 ans a atteint ses limites. Le monde a beaucoup changé depuis le 24 octobre 1945.
La dissémination des armes nucléaires la résurgence des empires notamment russe et chinois, l’émergence des groupements tel que le BRICS sont autant de marqueurs d’un ordre / désordre en gestation.

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