Dernier combat sur la route de Carthage

Lundi 17 novembre : l’agression commise à la fin de la semaine dernière à l’encontre de Houcine Abassi, SG de l’UGTT, à la sortie du siège situé place Farhat Hached, rappelle celle du 4 décembre 2012 où des manifestants présumés LPR et nahdhaouis avaient tenté de brûler les locaux et blessé dix syndicalistes. Le CA de l’UGTT se réunit aujourd’hui à Hammamet pour étudier les suites à donner à ce grave incident. Bouali Mbarki, SG adjoint de l’UGTT, a estimé que «les parties qui se cachent derrière cette agression semblent vouloir empêcher l’élection présidentielle» ou du moins troubler le bon déroulement de la campagne.

Cette campagne qui a d’ailleurs été marquée par d’importants meetings : Béji Caïd Essebsi à la Coupole d’el Menzah, Hamma Hammami au Palais des Sports d’el Menzeh et à Gafsa et à Douar Hicher (Ariana) Hechemi Hamdi, qui semble fuir les grands rassemblements et préfère parcourir les rues, a réclamé l’instauration de la charia (il est le seul candidat à avoir fait allusion à cette mesure depuis le début de la campagne.)

Sur Tunisia TV, Slim Riahi est revenu sur de prétendues menaces de mort à son encontre pour justifier de ne pas avoir pu organiser de grands meetings. Se croit-il si important par rapport à ses concurrents ?

Le dirigeant du parti islamiste Ettahrir, Ridha Belhaj, a critiqué «le frère ennemi», comprendre Rached Ghannouchi et a déclaré soutenir Moncef Marzouki, tandis que Yassine Brahim, SG d’Afek Tounes, a accordé officiellement le soutien de son parti à Béji Caïd Essebsi. Le journal La Presse risque à mon avis de se faire réprimander par la HAICA pour avoir publié ce matin un «mini sondage selon Facebook» qui donne un classement à la présidentielle établi «d’après le nombre de “Fans” sur leur page FB». J’y ai relevé Slim Riahi (1er avec 322,438 fans), Moncef Marzouki (2e avec 302,104), BCE (3e avec 130.550)… Mustapha Kamel Nabli (5e avec 61,535), Hamma Hammami (8e avec 45.365), etc. Je pense que cela n’a rien de convaincant parce que ce n’est qu’une petite frange des électeurs qui s’expriment sur Facebook, les autres attendent le scrutin.

 

Mercredi 19 : peut-être est-ce ce résultat et la si grande différence entre les deux premiers et le cinquième, ajoutée au vandalisme commis sur son bus de campagne, qui ont découragé Mustapha Kamel Nabli qui , avant-hier soir lors de l’émission «Sur le chemin de Carthage», annonçait son retrait de la compétition, en lançant un cri d’alarme. «La spécificité de la campagne de Marzouki… nous ramène à la case départ des assassinats et du terrorisme» et en appelant à «voter pour le candidat qui rassemble et non pour celui qui divise». Dans la même émission, Noureddine Hached, ne faisant pas preuve d’autant d’endurance et de fougue que son père — qui, lui, n’a jamais abandonné — décidait aussi de se retirer de la course à Carthage. Il déclarait  «notre démocratie est encore fragile et ne supporte pas la logique de confrontations qui prévaut aujourd’hui» et en critiquant «un président sortant ayant fragilisé la fonction présidentielle tout au long de ces trois dernières années». De toute façon, ces deux candidats n’avaient aucune chance d’être présents au second tour !

Le chef du gouvernement participe à sa façon à la campagne électorale en veillant à sa propreté. C’est ainsi qu’il a demandé au ministère public de mener une enquête sur le “document sécuritaire” brandi hier soir sur un plateau TV par le candidat Slim Riahi et relatif à des menaces de mort qu’il aurait reçues. Par ailleurs Mehdi Jomâa a demandé à Hakim Ben Hammouda de lui faire la liste des noms des candidats à la présidentielle avec un état de leur statut fiscal, sans doute pour vérifier certaines affirmations ! Que va-t-il en sortir ?

Le ministre des Affaires religieuses, Mounir Tlili, présidant hier une réunion des imams prédicateurs régionaux, a déclaré que seules quatre mosquées sont encore hors contrôle et a salué «le souci d’impartialité des prédicateurs pendant la période électorale». Ce serait très bien si, le même jour, le cheikh Mohamed Hentati, président du Forum des imams, n’avait pas conseillé «à tous ceux qui aspirent à la stabilité et à la liberté de culte d’aller voter pour Moncef Marzouki» et a tiré à boulets rouges sur Béji Caïed Essebsi, accusé de tous les maux dans une conférence de presse. Que pense le ministre des AR de ces deux informations, relevées sur la même page du journal La Presse du mardi 18 novembre ? Quelle contradiction !

 

Jeudi 20 : la campagne électorale continue avec ses mots d’ordre émanant de candidats ou de membres de partis qui les présentent. On relève pêle-mêle les «mises en garde contre le Ettaghaouel (concentration des pouvoirs)», les «appels à la neutralité», la promesse de «se contenter d’un seul mandant», la «discrimination positive au profit des régions défavorisées», la «nécessité de la décentralisation», etc. Le Mouvement Echaab a décidé de soutenir Néjib Chebbi, Safi Saïd et Kalthoum Kennou «pour leur appartenance à la famille démocratique.» On relèvera tout de même les déclarations de deux membres importants d’Ettakattol — qui a zéro élu dans le nouveau parlement —, il s’agit de Mustapha Ben Jaâfar qui affirme crânement  «au deuxième tour, il n’y aura que moi pour faire le poids devant Béji Caïd Essebsi», tandis que Liès Fakhfakh compare le même BCE à… Hitler ! Quant à Anderraouf Ayadi, il se retire à son tour de la course à Carthage, dégoûté par «l’argent sale qui coule à flots» et «le retour des symboles de l’ancien régime». Dommage ! J’aurais aimé connaître le pourcentage qu’il aurait obtenu ! Mais nous sommes rassurés, Wafa ne jette pas l’éponge et Fadra Najar membre du CC de ce parti lance «l’idée de la fondation d’un front unifié regroupant les forces démocratiques à l’instar d’Ettakattol, Al Joumhouri, le Courant démocratique, le Mouvement Echaab, le parti Al Binaa (parti de Riadh Chaïbi) et Wafa». Je me demande comment va fonctionner une telle coalition, mélange de «démocrates» et d’islamistes. On les verra à l’œuvre dans le futur !

Sur le plan sécuritaire, l’armée a bombardé le djebel Ouergha à la suite de la découverte de mouvements suspects. Un accrochage à Sidi Bouzid entre la GN et des terroristes a fait un mort dans leurs rangs et un blessé chez les sécuritaires. Le ministère de l’Intérieur a diffusé les photos de quarante-trois terroristes recherchés. Enfin l’armée va recevoir de nouveaux hélicoptères plus perfectionnés.

Les corps de trois terroristes ont été découverts dans le djebel Chaâmbi.

 

Samedi 22 : une aide appréciable a été apportée à la lutte contre le terrorisme avec la décision du Conseil des ministres du 21 novembre de créer l’Agence de renseignement de la sécurité et de défense, qui dépendra du ministère de la Défense. En effet un pays ne peut pas se passer d’un service de renseignements, ce qui avait été un peu oublié dans l’euphorie de la Révolution et a permis au terrorisme de s’installer confortablement dans le pays et de noyauter la société, notamment nombre d’associations soi-disant caritatives ou religieuses.

La conférence de presse de ce matin — annoncée comme «exceptionnelle» — de Mohamed Frikha, nouvel élu d’Ennahdha à l’Assemblée du Peuple et candidat «indépendant» à la magistrature suprême, a été habilement placée à la veille du «silence électoral» et après une rencontre hier après-midi avec Rached Ghannouchi pour permettre à l’intéressé de se prévaloir de «l’appui de la base d’Ennahdha». Suffisamment tardivement pour éviter toute réaction des dirigeants de ce parti — qui n’a pas de candidat et n’appuie personne —, comme l’a réaffirmé hier Zyad Laadhari, porte-parole d’Ennahdha ! C’est cousu de fil blanc et seuls les naïfs s’y sont laissé prendre…

Moncef Marzouki a demandé à Béji Caïd Essebsi, en sa qualité de leader du parti qui a remporté le plus de voix aux législatives, de lui présenter d’ici sept jours le nom qu’il propose comme chef du gouvernement. Et si on attendait au moins le résultat du premier tour, au cas où un autre président serait élu ?

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