Les Législatives du 6 octobre 2019, les deuxièmes élections libres depuis 2011 et la promulgation de la Constitution de 2014, revêtiront un aspect particulier. Elles différeront de toutes celles qui les ont précédées, à tous points de vue.
Même si elles ont été écrasées par le tsunami provoqué par l’élection présidentielle du 15 septembre dernier et ponctuées par une campagne terne, monotone et sans substance, elles sont annonciatrices d’ autant de promesses que de défis, de chamboulements plus que d’un réel changement, d’une émergence d’une nouvelle classe politique que du simple désaveu d’une autre, de chute des partis traditionnels et leur remplacement par une mosaïque de groupes d’apparence indépendants dont le discours caresse dans le sens d’un populisme annonciateur plus de tourments que de rêves.
Ces élections atypiques, qui surviennent dans des circonstances exceptionnelles, réunissent tous les ingrédients pour marquer une rupture avec huit ans d’errements, d’échecs, d’incapacité notoire à mettre en cohérence le discours et la pratique et d’une inflation de formations politiques qui a rimé rarement avec consistance et action.
Dans ce climat de tensions, de manque de confiance et de scepticisme, les Législatives du 6 octobre risquent de se traduire par une nouvelle sanction pour les partis traditionnels qui n’ont pas retenu les leçons de leurs échecs cuisants et répétitifs, préférant poursuivre une fuite en avant porteuse de tous les imprévus, voire même de leur propre perte plutôt qu’offrir une réelle alternative ou engager une action qui participe à l’enracinement du comportement citoyen chez le Tunisien.
Quand on voit dans quel état d’esprit les familles centristes abordent ces élections, ne reculant pas à étaler en public leur linge sale, leurs différends et leurs mauvais calculs, l’on ne pourrait pas exclure qu’ils vont recevoir une nouvelle claque. Les électeurs ne sont plus dupes. Ils ont administré la preuve depuis les municipales de mai 2018 de leur pouvoir de sanctionner par les urnes ceux qui n’ont pas pu les servir, défendre leurs intérêts ou être sensibles à leurs préoccupations et attentes. Il en est de même pour les partis de la gauche qui se sont engagés dans ce scrutin, comme si rien ne s’était passé, ne cherchant pas, en cours de route, à revoir un discours éculé, voire même à chercher d’autres voies capables de stopper la vague populiste. Le mouvement Ennahdha, l’autre grand vaincu de la Présidentielle, fait montre, en dépit des lézardes qui prennent de l’ampleur dans ses rangs, d’un opportunisme affligeant, en présentant de faux alibis pour se disculper de sa responsabilité directe dans la situation calamiteuse que vit le pays et en versant dans un discours démagogique qui, vraisemblablement, ne fera pas changer la donne en sa faveur rapidement.
Tout ce bouillonnement aurait pour aboutissement normal l’émergence d’un paysage politique fragmenté, dans la mesure où le clivage progressistes-islamistes qui a été le point d’orgue des élections de 2014, n’est plus au cœur du débat public, les préoccupations économiques et sociales ayant repris les devants et polarisant l’attention, plus que toute autre chose. Le risque que court le pays serait de voir de nouveaux acteurs, sans expérience ni projets et encore moins une connaissance des rouages de la vie publique, fourvoyer le pays dans un aventurisme auquel il n’est pas préparé, et contre lequel il n’est point immunisé.
Au regard de la qualité des programmes politiques présentés par les listes candidates, dans une sorte d’indifférence générale, de l’inflation des listes en compétition, de la pauvreté des débats et du caractère souvent fantaisiste des promesses formulées, il est fort à craindre une plus forte déception chez les Tunisiens. Le changement annoncé, les engagements pris par les uns et par les autres d’améliorer les conditions de vie, de conférer aux systèmes d’éducation, d’enseignement et de sécurité sociale une plus grande efficacité et de répondre aux demandes des jeunes en matière d’emploi, risquent de rester lettre morte. La raison est simple, toutes les promesses formulées à la va-vite et avec une insoutenable légèreté, ne s’adossent à aucune étude ou à un travail de recherche fondé.
Au-delà de toutes ces considérations objectives, le scrutin du 6 octobre risque d’être un scrutin piège. L’inflation des listes candidates partisanes, indépendantes ou autres, peuvent conduire à une représentation parlementaire très fractionnée, rendant le pays ingouvernable, ainsi qu’un terrain nullement propice à la conduite de réformes. Ce scénario est de nature à impacter durement l’action parlementaire et gouvernementale, avec des arbitrages parfois impossibles à trouver et un jeu de coalition contre-nature qui sera guidé essentiellement par le désir du partage du gâteau.
Face à cette cacophonie, le scrutin du 6 octobre prochain présente les mêmes similitudes que celui du 15 septembre dernier. Ses résultats ne sont pas connus d’avance, l’incertitude domine et si la vague populiste arrive à poursuivre son ascension, le pays risquera de payer le prix fort en instabilité politique et conflits sociaux.