Des obstacles persistants et des contraintes majeures

Il s’agit d’une approche du diagnostic de croissance proposée par Ricardo Hausmann, Dani Rodrik et Andrès Velasco. Ce diagnostic a porté aussi bien sur la période qui a précédé la Révolution que celle qui l’a suivie.

 

L’objectif ultime pour la BAD et ses partenaires consiste à fournir un appui à la Tunisie pour l’aider à lever les contraintes majeures identifiées en vue d’une croissance plus forte, durable et généralisée. Il s’agit de cerner les principales contraintes qui constituent des obstacles et empêchent le bon déroulement du processus de la croissance économique.

Cela conduit logiquement à identifier les domaines dans lesquels des réformes s’avèrent nécessaires et prioritaires.

 

Les contraintes majeures à la croissance

Les contraintes majeures à la croissance sont ressenties au niveau national et se répercutent par des conséquences néfastes aussi bien sur les régions littorales qui connaissent des croissances plus rapides que les régions défavorisées de l’intérieur.

La BAD estime que le manque d’investissement dans l’infrastructure et la mauvaise qualité de l’éducation réduisent les opportunités d’investissement et de création d’emplois dans les régions peu développées. Le manque de demande de produits et de travailleurs issus de ces régions résulte de la conjoncture qui règne sur les marchés nationaux et internationaux.

Les contraintes sont encore plus pesantes dans les régions peu développées.

 

Absence d’institutions efficaces

Les économistes de la BAD ont identifié, au cours de leur diagnostic de l’économie tunisienne, l’absence d’institutions efficaces destinées à assurer la responsabilisation du secteur public, à veiller sur l’application des lois et principes qui concrétisent l’État de droit, au bon fonctionnement des organes de contrôle et des institutions qui doivent assumer le rôle de contre-pouvoir. Cela aboutit, bien évidemment, à des dérapages non contrôlés, dont la faible protection des droits de propriété et l’établissement de barrières à l’entrée sur le marché de certains investisseurs.

Or la liberté d’investir et les droits de propriété sont fondamentaux pour le développement de l’esprit d’entreprise, qui implique non seulement une prise de risque, mais aussi la promotion de l’innovation. Cela conditionne de façon intense et directe la réalisation de la croissance économique dans le pays et l’amélioration de la productivité dans les entreprises. Il y aurait eu, dans ces conditions, l’aménagement d’une plate-forme destinée à l’augmentation des salaires et à l’amélioration des niveaux de vie des travailleurs.

Les économistes de la BAD recommandent, pour lever cet obstacle majeur, l’élaboration d’un cadre solide de gouvernance économique comportant des institutions capables de fournir aux investisseurs un ensemble transparent de règles, ce qui donnerait aux investisseurs l’assurance de récolter les fruits de leurs efforts.

 

Rigidité du code du travail

Le Code du travail tunisien est considéré comme rigide par les employeurs, car il rend très coûteux et très difficile toutes sortes de licenciements et n’admet pas l’annualisation du temps du travail. Cela est particulièrement sensible dans des industries saisonnières, comme le textile-habillement et le tourisme, qui sont des activités à forte intensité d’emploi.

Or, un chef d’entreprise qui est incapable d’ajuster ses effectifs en fonction de la conjoncture économique et du volume de ses commandes s’abstient de recruter. Ce sont les conditions du marché, compte tenu de la réglementation du travail, qui découragent les entreprises de grandir, de réaliser des économies d’échelle et d’investir dans la formation des travailleurs.

Cette dynamique, selon les économistes de la BAD, réduit l’introduction de l’innovation et l’amélioration de la productivité. Résultat: les entreprises tunisiennes sont moins compétitives à l’international.

La BAD préconise l’adoption de solutions alternatives comportant une autre conception de systèmes de sécurité sociale ainsi que la protection du marché du travail qui doivent rechercher un objectif de protection des personnes plutôt que des emplois spécifiques.

 

Une panoplie de mesures contre-productives

Les experts de la BAD ont constaté, toujours au cours de leur diagnostic, l’existence actuellement en vigueur dans le pays d’une panoplie de mesures contre-productives au niveau de l’impulsion du processus de croissance.

En effet, les programmes de sécurité sociale et de protection des travailleurs ont pour objectif l’amélioration des revenus, des droits sociaux et de la sécurité économique des salariés. Cependant, les économistes de la BAD ont constaté que seuls les employés fortunés ont bénéficié de ces mesures.

Tout cela s’est traduit non par la fourniture d’emplois acceptables, mais par la réduction des investissements, le développement du secteur informel et une rémunération inférieure des travailleurs. Il faut noter aussi l’augmentation du chômage et de l’insécurité économique dues à la fermeture d’entreprises.

Les entreprises restent confinées dans une dimension réduite et ont recours à diverses méthodes pour contourner les exigences liées au recrutement formel des travailleurs, d’où la sous-déclaration des employés et le recours à la sous-traitance.

 

Les fragilités et les restrictions du système bancaire

Le système bancaire tunisien s’est effrité, car il s’agit d’un marché étroit réparti entre 21 banques universelles.

L’ensemble des actifs est évalué à 70 milliards de dinars ; or le montant des créances douteuses s’élève à 7 milliards de dinars, soit 13% des engagements.

38% des actifs relèvent des trois banques publiques la STB, la BNA et la BH et 80% des créances douteuses sont supportées par la STB.

Le système bancaire tunisien a besoin d’un pool bancaire public capable de financer de grands projets de développement alors qu’il souffre de problèmes de gouvernance, d’instruments de maîtrise des risques, de manque de liquidités et de fonds propres. Or la croissance a besoin d’institutions financières solides capables de financer l’économie et les entreprises.

C’est pourquoi il est nécessaire de restructurer le système bancaire par une recapitalisation des banques publiques évaluée à 300 MD.

L’État est-il en mesure de l’accomplir avec un budget déficitaire de 6 à 7% ? Il faudrait attendre le résultat de l’audit des trois banques publiques pour adopter une stratégie : privatisation partielle, fusion ou maintien en l’état actuel avec renforcement des fonds propres. Ce qui a été constaté, à savoir les restrictions des crédits bancaires, est préjudiciable à la bonne gestion des entreprises, donc à la croissance et à l’emploi.

 

Les défaillances du système portuaire

Depuis vingt ans notre pays n’a pas investi dans la modernisation et l’extension de l’infrastructure portuaire commerciale. Depuis près de dix ans, on parle du projet d’aménagement d’un port en eau profonde à l’Enfidha sans le faire aboutir, car les ports commerciaux sont saturés depuis longtemps, avec des équipements vétustes, une organisation complexe, lourde, lente et coûteuse.

Le port de Radès, qui concentre 90% de l’activité container du pays en roll on roll-off et 70% de l’activité marchandises vrac du pays, vit une situation anarchique avec un délai moyen de dédouanement des marchandises de l’ordre de 11 jours, ce qui réduit la compétitivité de notre économie. Or notre pays vit la mondialisation des échanges avec des flux intenses de marchandises aussi bien à l’import qu’à l’export.

C’est pourquoi la situation qui règne dans le port de Radès, avec un encombrement indescriptible, constitue un goulot d’étranglement pour l’économie du pays.

Une solution urgente s’impose pour simplifier et alléger les formalités d’enlèvement des marchandises, désencombrer le port en le débarrassant des milliers de containers vides et moderniser les équipements de levage. À terme, il faudrait investir dans la création d’un nouveau port, sinon procéder à des extensions appropriées.

Les armateurs rechignent à desservir le port de Radès, car leurs bateaux attendent en rade durant une moyenne de trois jours avant de pouvoir accoster, d’où des pertes considérables.

 

Les impacts néfastes sur les entreprises exportatrices

Les entreprises totalement ou partiellement exportatrices correspondent essentiellement à des investissements extérieurs ou mixtes réalisés dans le cadre de partenariats avec des investisseurs privés tunisiens.

Ces entreprises bénéficient d’exonérations sur les charges sociales et d’autres impôts durant plusieurs années. En raison de leur grande taille et de leur productivité plus élevée, ces entreprises sont plus habilitées à respecter les impératifs du marché officiel de l’emploi et le Code du travail.

Ces entreprises ont été également moins touchées par les violations des droits de propriété durant l’ancien régime, cependant les contraintes qui ont été identifiées sont de nature à dissuader et ralentir les investissements à entreprendre pour étendre les capacités de production existantes ou initier de nouveaux projets dans le cadre de la diversification des activités ou d’une meilleure intégration des filières. Ce qui constitue un obstacle vis-à-vis de la création de nouveaux emplois.

Pour les entreprises orientées vers le marché intérieur, ces contraintes constituent un énorme obstacle envers la promotion de l’innovation et de l’amélioration de la compétitivité, ce qui leur aurait permis de mieux se développer et d’accéder au marché international, sinon de mieux servir les sociétés exportatrices.

Durant les dix dernières années, le recours à des politiques industrielles, à des moratoires fiscaux et à des subventions, pour financer directement l’innovation ou promouvoir la compétitivité n’a pas permis, selon le rapport de la BAD, de déboucher sur la transformation de l’économie dans la mesure où les contraintes majeures n’ont pas été levées.

 

Les risques majeurs des lenteurs de la transition

La lenteur du processus de transition politique justifiée par les atermoiements de mise au point du texte de la Constitution, les incertitudes relatives à la date des prochaines élections ainsi que le retard mis par l’adoption de certains textes juridiques fondamentaux relatifs à la presse, la justice… ne sont pas sans effets néfastes. 

L’existence de troubles sociaux persistants et généralisés dans plusieurs secteurs d’activité et plusieurs régions du pays exercent des pressions économiques et sociales sur le gouvernement et l’ANC et “polluent” le climat des affaires et handicapent l’investissement. C’est ainsi que le bassin minier de Gafsa et le secteur phosphatier sont paralysés par des mouvements sociaux permanents.

Cela engendre une instabilité macro-économique préjudiciable à la relance économique, alors qu’il est essentiel que le gouvernement s’engage à préserver l’équilibre budgétaire et stabiliser le niveau de la dette.

 

Les risques potentiels et émergents

Outre les contraintes majeures qui ont des impacts néfastes rapides et directs sur l’investissement privé, la croissance du PIB et le marché de l’emploi suite aux répercussions sur le processus de création d’entreprises, il existe des risques potentiels qui peuvent à terme affecter d’autres domaines.

 

Qualité contestable du système éducatif

Notre système éducatif, enseignement primaire et secondaire, présentent plusieurs défaillances, dont la baisse de la qualité du contenu, le niveau peu élevé des titulaires du bac et le manque de formation des enseignants.

Il y a lieu de remarquer également le nombre élevé des élèves exclus chaque année du système scolaire, qui se chiffre en dizaines de milliers.

En outre, le dispositif de formation professionnelle mérite d’être réformé, adapté aux besoins du marché de l’emploi, diversifié et développé.

L’enseignement supérieur mérite une réforme structurelle pour s’adapter aux besoins du monde du travail et favoriser l’employabilité des profils formés par l’université, afin de ne pas continuer de grossir les rangs des diplômés du supérieur au chômage.

 

La gestion des ressources en eau

Notre pays est situé dans une zone de stress hydrique et notre disposition de mobilisation des eaux, grâce à un réseau dense de barrages-réservoirs, atteindra bientôt ses limites avec un taux actuel de 90%.

La nappe phréatique est surexploitée par la multiplication des puits de surface dans les zones de culture intensive. Notre système de distribution d’eau et d’irrigation comporte une forte dose de gaspillage et de déperditions qui méritent des actions vigoureuses de rationalisation.

La pénurie d’eau menace le centre et le sud tunisiens, alors que les stations de traitement d’eau de mer coûtent très cher et sont énergivores.

 

Les clés de la croissance durable

La promotion de l’investissement privé, qu’il soit extérieur ou national permettra d’impulser le processus de la croissance économique et de créer des emplois dans les régions défavorisées de façon massive.

La nouvelle loi sur le partenariat public-privé est un instrument à activer dans les plus brefs délais. Par ailleurs le Code d’incitation à l’investissement mérite d’être promulgué rapidement.

Tout cela ne peut être réalisé que si les pouvoirs publics garantissent la sécurité des biens et des personnes et assurent une stabilité politique et sociale.

Ridha Lahmar  

 

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