Dans une enquête destinée à faire la lumière sur la mort du journaliste américain Daniel Pearl, enlevé puis décapité par des islamistes le 31 janvier 2002 au Pakistan, des enquêteurs ainsi que plusieurs écrivains “investigateurs sur commande” dont le fameux Bernard Henri Lévy ( Qui a tué Daniel Pearl ? Grasset pp 12-13) se sont posés les questions suivantes : “Comment ça marche, le démoniaque, aujourd’hui ? Sans raison, de sang froid choisit d’épouser le mal, de viser le crime absolu ? Qu’est-ce qui, en ces temps troubles, fait que l’abjection devient désir et destin ? Qui sont ces nouveaux possédés qui pensent que tout est permis, non plus parce que Dieu n’existe pas, mais parce que, précisément, il existe et que cette existence les rend fous ?”. En contemplant les révélations choquantes et les preuves tangibles apportées par le comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, on découvre facilement qu’il y a dans leur combat pour une vérité sans cesse repoussée, comme une odyssée qui n’en finirait pas de ne pas commencer, une telle colère, une telle sincérité et une telle générosité qu’on les admire en tremblant, comme des sauveteurs. Il est parfois des moments, dans un film horrible d’actualité qui s’emballe, sur lesquels il faut s’arrêter puis zoomer pour ressentir la fatalité sous l’odeur nauséabonde des tragédies inouïes. Entre Karachi et Tunis, c’est la même secte des “assassins au nom de Dieu” célèbre, dans les périodes les plus sombres de l’islam, par la manière dont elle se faisait un devoir sacré de mettre à mort ses adversaires ! Ces tueurs ont les mêmes “héros”, les mêmes textes de référence, les mêmes idéologues, la même obsession nourrie par une mécanique des fluides haineux, qui alimentent un climat de vengeance, normalisant les assassinats. Dans cette avalissante entreprise de haine où cohabitent la tyrannie de l’insignifiance, l’hypocrisie, l’horreur, la sauvagerie inégalée dans les annales du crime, ces assassins au sourire satanique n’avaient fait que suivre les ordres de leurs chefs “politiques” qui se vantent d’avoir, non seulement le “droit” mais le «devoir sacré” de tuer. Un devoir qui relevait du savoir se maintenir au pouvoir ! On assiste à l’introjection de l’assassin dans la machine politique «légitime”. Car si à l’évidence, le projet recèle une portée d’ordre religieux, l’enjeu est surtout et principalement politique. Abû hayyan al-Tawhidi, ce visionnaire, n’avait pas vu venir ce type de “politicards assassins”. Il aurait dû les faire figurer dans sa célèbre liste. Faudra-t-il désormais, avant de les inscrire, émettre un avertissement à l’attention des coeurs sensibles ! Certains crimes ne sont dans la vie de ces “politicards assassins” rien de plus qu’une simple conjoncture tragique dont le caractère irréparable masque à peine l’insignifiance. Mais, avertissait Georges Bernanos : “Il est des crimes essentiels marqués du signe de la fatalité”. Il est pour le moins troublant, pour ne pas dire révoltant, qu’il faille rappeler de telles évidences dans un pays qui, jusqu’à nouvel ordre, abrite, au nom de la démocratie, des partis politiques ayant leur part de ce sang sur les mains. S’il y a là une singularité, se pourrait-il que la “démocratie” voulue par ces partis, loin de s’inscrire dans l’histoire des luttes d’émancipation de notre peuple, ait eu pour vocation de rompre avec l’idée même des valeurs démocratiques, voire d’en finir avec elles ? On pleure l’irresponsabilité de ceux qui ont été au pouvoir, aux premières loges de cette souffrance ; ils sont les témoins de l’horreur. Ceux qu’il faut condamner avec les criminels et leurs mentors quand on décide d’aller mieux. Mais cette situation désastreuse renvoie surtout au vide spirituel, intellectuel et moral d’un peuple en plein désarroi. Ce vide a produit des formes pathologiques de la religion et son instrumentalisation par des formes non moins pathologiques de la politique politicienne.
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