Des temps difficiles

Les nouvelles qui parviennent du voisin libyen sont plutôt inquiétantes. Les violences entre groupes armés ont repris ces derniers jours, rappelant que la situation sécuritaire reste précaire ponctuée par des affrontements récurrents entre milices armées suivis de courts épisodes d’accalmie. Ce type de nouvelle inquiète en Tunisie en raison de l’inestimable capital historique, humain, économique et commercial qui caractérise les relations entre les deux voisins et de l’éventuel impact négatif susceptible d’altérer ces relations.
Depuis 2011, année des soulèvements qui ont bouleversé les orientations politiques en Tunisie et en Libye, ces relations n’ont pas toujours été au beau fixe, portant un coup de frein à une activité commerciale informelle, traditionnelle et dynamique qui représentait la principale et conséquente source de revenus à des milliers de familles tunisiennes, du Sud tunisien essentiellement, et libyennes. Les postes-frontières de Ras Jedir et de Dhehiba ont été, ainsi, fermés à maintes reprises devant les Tunisiens empêchant le passage des marchandises et le trafic du commerce régulier, ainsi que celui des marchands de valises qui approvisionnent essentiellement les petits commerces libyens.
Les autorités tunisiennes, fidèles à leur principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays ont, dès le départ, soutenu la solution politique libyo-libyenne sans interférences étrangères pour mettre un terme aux divisions entre Libyens, convaincues qu’il s’agit là de l’unique issue de sortie de l’impasse dans laquelle se trouve le voisin du Sud et du seul moyen de permettre le retour de relations bilatérales normalisées, sûres et permanentes.
La crainte est donc réelle et légitime, surtout quand la violence monte d’un cran et prend pour cible des infrastructures nationales énergétiques de haute importance comme la raffinerie de Zawiya, la deuxième plus grande raffinerie située à 40 km à l’Ouest de la capitale Tripoli, qui a dû être fermée après que plusieurs de ses réservoirs ont été endommagés lors des affrontements. L’état d’urgence et de force majeure a été décrété par la Société nationale libyenne de pétrole, une procédure juridique qui suspend momentanément les obligations contractuelles de la société. Ce qui laisse craindre une escalade dangereuse de la situation sécuritaire en Libye à même d’alimenter les convoitises et les ingérences étrangères.
Ces signes d’insécurité menaçant la stabilité de la Libye, outre les fermetures répétées des postes-frontières de Ras Jedir et de Dhehiba-Wazen, mettent en péril toute la région et bloquent toute initiative de développement et d’ouverture des pays maghrébins voisins. Preuve en est donnée par le retard accusé par le deuxième Sommet des trois chefs d’Etat (tunisien, algérien et libyen) annoncé en octobre 2024 qui devait se dérouler à Tripoli et dont la date n’a toujours pas été fixée par le président du Conseil présidentiel libyen, Younès El Menfi. Le projet d’alliance tripartite portait beaucoup d’espérances en termes de développement économique et social des trois pays, mais il a, aussi et surtout, gêné et suscité des critiques dans la région et ailleurs.
Pour la Tunisie, la sécurité de ses voisins de l’Ouest et du Sud est le prolongement de sa propre sécurité. Pour avoir connu le terrorisme, l’insécurité, l’instabilité et la régression économique, la Tunisie observe une posture d’équilibre, de fiabilité et de confiance avec tous ses voisins et partenaires étrangers, proches et lointains. Une posture problématique, incomprise par certains, en ces temps de grands bouleversements géopolitiques liés à la première guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, la guerre russo-ukrainienne, et à la guerre dévastatrice au Proche et Moyen-Orient menée par l’entité sioniste. L’évolution, diplomatique et médiatique, de ces deux guerres a fait émerger deux mondes : le bon et le méchant. Pas de juste milieu. Il n’y a pas de place aux non-alignés, ni aux indifférents, ni aux sentimentalistes. C’est l’un ou l’autre camp. Avec moi ou contre moi.
Cet état de fait va s’ancrer davantage dans les jours, les semaines et les mois à venir, d’autant que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche promet d’être aussi, sinon plus, agressif et autoritaire en politique étrangère. Pour le monde arabe, tous les observateurs s’accordent à dire que la priorité du nouveau-ancien président des Etats-Unis sera le parachèvement de son projet « Les Accords d’Abraham » et la normalisation des pays arabes qui ne l’ont pas encore fait avec Israël. Qu’en sera-t-il de ceux qui continueront à opposer leur refus, sachant que ce dernier a toujours été lié à la situation en Palestine occupée ?
Force est de constater que la situation a empiré avec la progression de l’entité sioniste dans les terres libanaises et syriennes et que la cause palestinienne n’est plus au premier plan bien que le génocide à Gaza suive son cours dans le silence complice du monde entier.
Aux partisans du « non », qui sont minoritaires désormais, de se préparer à des jours difficiles car il est clair qu’une bonne partie du monde s’est rangée derrière le lobby sioniste et que les prémices d’une troisième guerre mondiale pointent le bout de leur nez entre l’Ouest et l’Est, entre les Atlantistes, d’un côté, et la Chine et la Russie, de l’autre. La guerre barbare contre Gaza a bien montré que le monde a perdu beaucoup de ses valeurs humaines et universelles, il sera dorénavant difficile de justifier des postures de neutralité et de puritanisme en politique étrangère dans un contexte mondial où le dernier mot est donné aux armes les plus sophistiquées et les plus meurtrières et à celui qui les possède et en fait usage sans scrupules ni morale.
Ce 11 décembre, deux jours après la chute de Damas entre les mains des rebelles, le chef de l’Etat a recommandé au ministre des Affaires étrangères d’adapter la diplomatie tunisienne aux évolutions rapides et inédites du monde actuel tout en soulignant que celle-ci doit être proactive et anticipatrice des nouvelles dynamiques internationales, tout en restant (bien sûr) fidèle à ses principes.
Premier défi à relever : le temps. Il est déjà, peut-être, tard.

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