Cinq ans après le déclenchement de la Révolution de la liberté et de la dignité, la désillusion, la frustration et le questionnement dominent les esprits, même si au bout de ce laps de temps, le pays a accompli des avancées remarquables sur la voie du renforcement de la construction démocratique et de l’enracinement des valeurs de citoyenneté et de liberté.
Telle une œuvre encore inachevée, le processus enclenché, le 17 décembre 2010, semble avoir encore du plomb dans l’aile, bloqué par des vents contraires qui se sont ressourcés dans l’ambiguïté du projet politique que la Troïka a essayé d’imposer au pays au départ, les difficultés économiques et sociales, ensuite, et les menaces terroristes et sécuritaires qui ont exacerbé les fragilités d’un pays qui n’a pas connu cinq ans durant presque, aucun répit.
Le sentiment de dépit, qu’expriment des jeunes gagnés par la désespérance, des régions qui ont vu leur situation empirer, une classe moyenne qui n’en finit pas de s’appauvrir et une population gagnée par le doute et la peur, trouve parfois sa traduction dans la spontanéité des réactions d’une frange importante de la population qui estime que la Révolution n’a rien changé pour elle, excepté peut être l’aggravation du chômage et la recrudescence du risque terroriste.
Dans la phase difficile actuelle que traverse le pays, faut-il imputer tous les échecs et les faux pas aux gouvernements successifs ? Nullement. Chacun de nous assume une part de responsabilité dans le marasme économique, la crise sociale, le dysfonctionnement des institutions démocratiques, le recul des libertés et le blocage de la vie politique.
Dans la foulée de l’élan révolutionnaire qui a accompagné ce processus spontané, on a vu l’émergence d’une classe politique plus obnubilée par le pouvoir, le positionnement et le partage du gâteau que de servir le pays ou de donner un sens aux mots dignité, liberté. On a omis de prévoir des garde-fous qui peuvent protéger les libertés et la démocratie, en privilégiant les surenchères stériles et les luttes politiques improductives qui ont failli mettre le pays à feu et à sang.
Dans ce processus inédit, dont le feu follet a été une jeunesse au bord de la crise de nerfs, on a omis de hiérarchiser nos priorités pour donner une chance aux chômeurs et exclus, en voulant tout avoir et tout de suite et en ne daignant pas favoriser le compromis social et prendre en considération les intérêts du pays et ses moyens.
En l’an cinq de la Révolution tout ne semble pas perdu malgré tout, à condition de se défaire de nos égoïsmes et de nos ambitions démesurées, pour parachever la construction entamée et faire front à un péril qui se renforce de nos divisions, pour tout emporter avec lui.
Jusqu’où nos médias en général, et audiovisuels, en particulier, vont-ils poursuivre leur chute vertigineuse vers le superflus et le ridicule ? Jusqu’où vont-ils sacrifier les règles professionnelles et la déontologie au profit du sensationnel de bas étage, de la recherche aveugle du buzz ?
Dans les grandes démocraties, les médias participent à forger une opinion publique avertie, assurent la circulation des opinions, leur confrontation et se présentent comme un facteur essentiel pour la vitalité de la démocratie.
Un rôle d’une extrême importance qui implique responsabilité, puisqu’il revient aux médias de s’inscrire dans une démarche d’objectivité, d’indépendance et de qualité.
Chez nous, depuis 2011, on a pris le pli de la facilité et de l’approximatif. Au lieu d’investir dans la formation, on a versé dans le ridicule, au lieu de s’investir dans tout ce qui forme et informe, on a emprunté les voies de la rumeur infondée et des ragots.
Résultat : le dérapage est de plus en plus grave et la suffisance de plus en plus insoutenable. Au lieu de se remettre en question, certains médias préfèrent la fuite en avant et vont jusqu’à essayer de justifier l’injustifiable au nom de la liberté d’expression et de l’indépendance des médias.
Le dérapage incontrôlé que connaît le paysage audiovisuel en Tunisie, constitue une menace pour la démocratie et la liberté d’expression, dans la mesure où au lieu de forger une opinion publique et de favoriser un débat public de qualité, certains médias brillent dans l’inénarrable, en orientant le public vers le superflus et les questions qui excitent ses bas instincts au lieu de lui offrir une alternative ou de lui présenter une voie.
Le plus grave dans tout cela est l’attitude qu’affiche certains, qui font de la résistance en ne voulant pas voir la réalité en face et en tournant le dos à toute attitude responsable et professionnelle.