Désert & luxuriance : Fêter l’environnement

Connaissez-vous un endroit du pays où des dunes de sable complètement nues bordent un cours d’eau dont la végétation couvrant les berges est tellement dense et impénétrable qu’on a l’impression d’être dans une forêt galerie tropicale ? C’est une zone qui, sur quelques kilomètres carrés, abrite plus d’une quinzaine de plantes considérées comme médicinales et culinaires, une dizaine d’espèces d’oiseaux, une quinzaine de mammifères dont la loutre rarissime sans compter les reptiles, les tortues, les insectes et les poissons !

Allons nous promener à l’embouchure de l’oued El Abid !

Le cadre

La route nationale 26 joignant Soliman à El Haouaria enjambe l’Oued El Abid à une trentaine de kilomètres avant ce dernier bourg. L’oued rejoint la mer à moins d’un kilomètre du pont. On va jusqu’à son embouchure par trois itinéraires.

On peut emprunter avant le pont, à gauche de la route, une belle piste qui mène à une source proche d’un grand bâtiment abandonné construit en pierres. Puis on tourne à droite dans une piste qui zigzague entre les dunes couvertes d’arbustes.

On pourrait aussi gagner la plage de R’tiba par une grande piste carrossable. Puis, après avoir laissé son véhicule, on va à pied, en longeant la mer, jusqu’à l’embouchure de l’oued. Il est aussi possible de suivre l’oued par un sentier emprunté par le bétail, le long de ses rives.

A l’arrivée, une surprise : de part et d’autre du filet d’eau, très souvent à sec depuis que l’oued a été barré en amont, s’étend une immense plage de sable blanc, très fin, apporté par le vent.

Les personnes qui ont marché au bord de l’oued ont découvert la « forêt galerie ». Une « jungle » dense, souvent impénétrable, formée de buissons enchevêtrés de lentisques, de myrtes, de calycotomes, reliés aux troncs de genévriers oxycèdres ou de Phénicie, par des « lianes » épineuses, des ronces, des clématites et des asperges sauvages poussant entre les touffes de palmiers nains, les chênes kermès et les tamaris. Tout près de l’eau, croissent les joncs maritimes.

Plus on se rapproche du rivage marin et plus la végétation se raréfie. Après les touffes de retama, de salicorne, de roseaux des sables, de luzerne marine couverte de poils blancs rampant sur le sable, de queues de lièvre terminées par un « petit plumet » séchant facilement, poussent quelques « Sous de Kali », des pourpiers de mer, de rares lys de mer aux trompettes blanches parfumées et enfin le sable nu toujours en mouvement.

A l’est de l’oued et à quelques centaines de mètres s’élèvent de petites dunes pratiquement nues. En prenant soin de photographier, à genoux, de façon à ce que le sommet des dunes se découpe sur le ciel, vous pourrez raconter que vous avez fait un superbe voyage au Sahara, après avoir montré les photos de la « forêt tropicale » des bords de l’oued.

Un bon parasol ou un vieux drap posé sur quatre manches à balai, plus un pour soutenir le centre de la toile, plantés dans le sable, vous assureront des journées entières sur une plage magnifique, complètement déserte, à jouer à Robinson Crusoë. Si, en plus, vous avez un véhicule 4×4, il vous amènera jusqu’au bord de l’eau : baignade, pêche à la ligne, grillades et « farniente » garantis, sans témoins !

La vie de l’oued

Dans l’oued, d’abord, les amateurs de pêche à la ligne se régaleront de prendre d’énormes daurades de près d’un kilo pièce, de beaux marbrés : 4 ou 5 au kilo et plus rarement, une grosse anguille ou un magnifique mulet, très combatif.

Dans les airs, dès votre arrivée, une tourterelle, presque immobile, semblant planer, vous aura prévenu qu’elle cherche à séduire une partenaire : c’est la saison des amours, elles roucoulent dans les bois. Au ras de l’eau, une flèche turquoise poursuit les libellules : un guêpier. D’autres chassent plus haut avec de légers cris aigus.

Dans les branches, une « étincelle » toujours en mouvement, unique petit oiseau à plumage bleu et jaune de nos climats, coiffée d’un petit béret bleu ciel, un fin masque noir, couvrant les yeux : la mésange bleue, très rare.

Tout aussi rare, le chardonneret, au bonnet tricolore : rouge, blanc et noir, fréquente l’orée des bois où poussent les chardons. Que pourrait-on faire pour empêcher les braconniers de le piéger ? Tout aussi chanteur et bariolé, avec ses ailes barrées de blanc et de noir, ses joues, sa gorge et son dos roux, sa calotte gris bleu : le pinson des arbres.

Et bien d’autres encore, aussi beaux : la linotte mélodieuse à la gorge rouge, le verdier vert clair taché de jaune vif sur les ailes et la queue, le serin, jaune rayé de noir.

Au bord de l’eau, se faufilant entre les joucs, une aigrette blanche, une poule d’eau, une marouette ou un tout petit héron : le blongios nain de 15 centimètres de haut.

Evidemment, en cette saison, le ballet des hirondelles et des martinets dans l’azur. Sans compter, tous ceux qu’on ne voit pas, mais qu’on entend : le monde des oiseaux !

Ceux qui disposent de temps, d’une patience à toute épreuve et des yeux de lynx, peuvent partir à la recherche des traces – hypothétiques – des dernières loutres. Quel bel animal ! Un mammifère, carnassier, vivant presque constamment dans l’eau où il capture les poissons qui sont la base de sa nourriture. Un mètre de long environ, une longue queue, un pelage dense, fourni, de roux à gris foncé, 50 centimètres de haut, pesant 8 à 10 kilogrammes et vivant de 10 à 15 ans, au moins, des pattes palmées, le museau garni de longs poils, la loutre est magnifique.

Elle ne gène rien ni personne dans cet estuaire. Pourquoi cette bête serait-elle condamnée à disparaître comme des dizaines d’autres espèces végétales et animales, si l’eau devenait trop salée ou trop polluée. Depuis quelque temps, on a pris conscience de son importance en tant que « marqueur » de la pollution des eaux. Pollution générée par les rejets domestiques et par l’utilisation abusive des intrants agricoles. On la présente désormais comme le label d’un environnement préservé, gage d’une certaine qualité de la vie.

La zone de l’oued El Abid fait (faisait) partie d’un projet international : le « Med Wet Coast » protégeant une toute petite partie des côtes humides de la Méditerranée, en particulier, l’île de Zembra, la montagne d’El Haouaria et les lagunes bordant la Côte sud-est du Cap Bon ainsi que la forêt de Dar Chichou, à l’époque où elle existait encore. L’A.P.A.L. gérait parait-il, ces zones. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Dans ces écosystèmes, d’autres animaux sont en grand danger : le porc-épic devenu rarissime dans les collines au-dessus de l’oued El Abid et d’El Haouaria, la petite belette qui ne nuit à personne, la caille des blés et la perdrix « gambra » objets d’un braconnage incessant. Même le faucon pèlerin qui fait la renommée du club des fauconniers d’El Haouaria se raréfie.

Il suffirait de bien peu de « chose » pour assurer la pérennité de l’écosystème de l’estuaire de l’oued El Abid et donc la survie des loutres. Il faudrait réguler le pâturage et l’emploi des polluants chimiques agricoles, lutter contre le braconnage et faire lâcher, par le barrage, un peu d’eau douce, de temps en temps, pour abaisser la salinité de l’eau de l’estuaire qui se remplit d’eau de mer.

Quand un pays a la chance d’avoir un site aussi beau et aussi intéressant, n’est-ce pas dramatique d’en voir disparaître, à jamais, la moitié, faute de quelques mesures, simples et peu onéreuses, de gestion et de protection ? Allons plutôt fêter l’Environnement !

PS : Au village d’oued El Abid, un groupe de femmes, sous l’égide de l’Association « Alliance Femme et Environnement » avec le soutien financier du Canada, a créé une distillerie de plantes médicinales et aromatiques ainsi qu’une petite fabrique de savons naturels et parfumés.

Allez voir, vous serez enchantés !

Alix Martin

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