Deux divas entrelacées*

Un matin de novembre, un de ces lundis où les volutes du premier thé de la journée se perdent dans l’horizon intensément gris, hermétique et lumineux à la fois. Un matin où le choix des premières notes de la journée est difficile si l’on veut s’accorder à cette masse nuageuse qui donne à tout une teinte ouatée, comme figée dans un sommeil proche de l’hibernation.

Ruée vers le lecteur. Play. Et la musique envahit la pièce, s’installe comme chez elle, se love sur le canapé, allume une cigarette et souffle sa fumée sur les nuages. La bande-son de ce matin de décembre tunisois que j’ai entre les mains, c’est Barbara-Fairouz de Dorsaf Hamdani

Barbara vs. Fairouz, un pari risqué…

Réunir ces deux grandes dames de la chanson libanaise et française aux hymnes emblématiques pour des générations entières est une idée séduisante mais potentiellement hasardeuse : « Je n’ai pas envie d’être comme une chanteuse française qui reprend Barbara, déclare Dorsaf Hamdani. J’avais aussi envie de sortir des sentiers battus de ma culture, d’introduire quelque chose dans l’interprétation qui ne donne pas l’impression d’entendre Fairouz. L’essentiel était de créer un troisième élément qui n’existait pas avant. ».

Si les albums précédents de la chanteuse tunisienne (Ivresses – Le sacre de Khayyam, Princesses du chant arabe et Melos) ne laissent pas de doute sur sa maîtrise vocale et sa capacité à interpréter les répertoires de Fairouz et de Barbara, le défi résidait dans la création d’un univers qui mette en valeur à la fois les chansons originelles et la patte de Dorsaf Hamdani.

La direction musicale de l’accordéoniste Daniel Mille relève le défi d’une main de maître. De fil en aiguille, entre sélection des chansons et ciselage des arrangements (Lucien Zerrad à la guitare et au oud, Mohamed Lassoued au violon et au oud, Lotfi Soua aux percussions) la rencontre a lieu et la magie opère. Dorsaf Hamdani explique qu’il y a chez Fairouz beaucoup de chansons très spectaculaires avec de grands orchestres mais il fallait des chansons qui parlent à Barbara. Et réciproquement. Je ne voulais pas faire l’aller-retour entre deux univers, entre deux âmes. Daniel m’a beaucoup aidé à la rapprocher ».

Les arrangements simples et épurés siéent à l’une comme à l’autre, et me rappellent le travail de Basel Rajoub sur les deux premiers albums de Lena Chamamyan. De l’accordéon enjoué à la guitare acoustique rythmique et mélodique mâtinée de oud (Gare de Lyon) -sans oublier le daf iranien, hérité de ses albums précédents, « Barbara-Fairouz » est loin d’être un album conventionnel et tiède de reprises, et prouve que derbouka peut rimer avec Barbara sans faire hurler à un collage artificiel. L’apport de Dorsaf Hamdani, au-delà de son interprétation sans faille est ce petit grain nord-africain, évoquant le maalouf tunisien comme la chanson judéo-arabe algérienne (dans Atini nay wa ghanni), qui nous fait rebondir pour le plus grand bonheur de nos oreilles sur les quatre rives de la Méditerranée.

Ainsi, en amenant de la chaleur à Barbara et en esquissant un sourire sur les lèvres de Fairouz, Dorsaf Hamdani rapproche deux univers, deux pays et deux publics, pour le plus grand bonheur de tous et donne une nouvelle vie à ces deux chanteuses iconiques. Longue vie au trio !

Ce pourrait être une rencontre dans un bar d’hôtel, un après-midi d’hiver, ou dans l’ombre d’une maison amie, un jour écrasé de soleil. Entre ces deux femmes immenses et secrètes, il y aurait de la pudeur et des confidences, l’instinct du partage et un immense respect.

Ce n’est pas à un duel de divas que nous invite Dorsaf Hamdani en chantant Barbara et Fairouz. « J’avais envie qu’elles se parlent l’une à l’autre », dit-elle simplement. Un peu comme si Dorsaf devenait une sœur de ces deux grandes aînées si lointaines et si proches l’une de l’autre.  Il fallait créer un climat propice entre musiciens tunisiens et français pour cette interpénétration des imaginaires autour de la Méditerranée d’aujourd’hui. Et, de fait, on est forcément surpris d’avoir l’impression de ne pas distinguer entre deux univers, outre la langue dans laquelle chante Dorsaf. Mélodies nées au Liban ou en bord de Seine semblent être du même matériau, de la même palette, des mêmes humeurs. Le pétillant de Fairouz semble éclairer les spleens de Barbara, qui donne son intelligence si pointue aux romantismes de la chanteuse orientale. Une rencontre virtuelle et interculturelle originale, Orient et Occident réunis.

Après «Princesses du Chant arabe», sorti en 2012 (AC144), Dorsaf Hamdani élargit son univers musical avec ce nouvel album, en explorant l’héritage de l’une des plus grandes chanteuses du monde arabe, Fairouz et de celui de la mythique française Barbara. Pour la direction musicale du projet, Accords Croisés a fait appel à l’accordéoniste français Daniel Mille qui est entré dans ce projet avec son naturel audacieux et attentif. Le résultat de leur collaboration : six chansons de Barbara et six de Fairouz, avec des arrangements épurés, un mélange de deux univers anticonformistes, chacun dans sa propre culture. Travailler sur l’héritage de ces deux artistes a aussi été un chemin fécond pour Dorsaf Hamdani. Comme si, au-delà du temps, des langues et de la mer, le chant unissait une famille de femmes libres et singulières.

*Barbara – Fairouz de Dorsaf Hamdani. Label « Accords Croisés »

F. B.

 

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