Le paysage politique tunisien en mouvement, déroute et donne même le tournis aux observateurs les plus avertis. En témoignent les alliances qui se font et se défont au gré des circonstances et les calculs que les partis ne se lassent pas de faire en prévision des prochaines municipales et surtout des législatives et présidentielles de 2019. En dépit de cette agitation continue et de l’inflation des partis politiques dans le pays, ce qui manque terriblement, c’est indubitablement la consistance de l’action, l’enracinement de ces formations dans les régions et l’indigence du débat qu’ils suscitent.
Ce qui fait l’événement par contre, ce sont les fanfaronnades auxquelles s’adonnent les dirigeants des partis devant les médias à propos de tout et de rien, leur présence de plus en plus ennuyante dans les plateaux télévisés et leur propension à débiter des contrevérités et à verser dans le dénigrement systématique et gratuit de leurs adversaires. Rares sont ceux qui sont capables de se prévaloir d’une force de propositions ou d’une opposition en mesure de jouer pleinement son rôle sans déconstruire, ni dénaturer. Les acteurs politiques se justifient, chez nous, par la stigmatisation de l’autre, la négation de tout ce qui est entrepris ou le blocage de tout processus qui pourrait conduire au changement et rompre le statu quo. Les bons exemples ne sont pas légion et les partis qui portent aussi bien la coloration de la gauche, du centre ou de la droite, sont en train de nous embarquer sur un terrain glissant, incertain même.
Outre le rôle négatif joué, par exemple, par le Front Populaire, qui s’illustre par ses propositions à la limite folkloriques ou ses initiatives souvent absurdes donnant l’illusion qu’il est en train de jouer une partition disproportionnée à son poids, on a souvent droit à une attitude imprudente des partis Harak Tounes Al Irada de Moncef Marzouki et d’ Al Mahaba de Hechemi Hamdi qui ne reculent pas à utiliser la fibre régionaliste à des fins politiciennes, et aux bouffonneries d’El Joumhouri, en perte de vitesse. Il n’y a pas que cela qui brouille et perturbe notre vie politique. Ce qui l’est plus, c’est le travestissement des partis qui forment l’alliance au pouvoir dans des combats farfelus. Deux nouveaux fronts rapidement constitués, prétendent abusivement soutenir le gouvernement d’union nationale tout en œuvrant à le déstabiliser et à le fragiliser en semant le doute, en accentuant les divisions et en cherchant à influencer le pouvoir de décision dans le pays.
A l’évidence, voir les partis politiques qui forment l’ossature essentielle de l’alliance au pouvoir basculer dans l’opposition tout en se livrant à une guerre fratricide sans merci et jouant à fond la carte du pourrissement de la situation politique, désoriente et laisse dubitatif.
La naissance d’une Troïka bis formée de Nidaa Tounes, d’Ennahdha et du revenant UPL, est loin de permettre au paysage politique de retrouver son équilibre et au gouvernement de bénéficier du soutien qui lui fait cruellement défaut. Il faut reconnaître que cette initiative a été concoctée à la hâte, non seulement pour contrer ce qu’il est advenu d’appeler le front centriste fraîchement formé et encore moins apporter un appui au gouvernement ou accélérer le processus de réformes, mais aussi pour servir des ambitions politiques égoïstes. Les deux fronts qui claironnent le même discours et avancent les mêmes arguments, sont la traduction parfaite de l’incongruité des acteurs politiques qui se sont engagés, dès à présent, dans une précampagne afin de jauger leurs chances, d’influencer l’électorat et de ne pas tomber en désuétude. Le plus étrange, c’est que les deux fronts constitués sont formés, pour la plupart, de partis encore alliés au pouvoir et d’élus transfuges qui, pour masquer leur incapacité à conduire le changement, à susciter l’espoir chez la population et à présenter une vision et une perspective, ont préféré faire la fuite en avant en lançant de faux combats et en induisant l’opinion publique en erreur.
Dans le cas d’espèce, peut-on réellement jouer la fronde et prétendre rééquilibrer le paysage politique en jouant la carte de l’effritement des forces ? Cette course entamée prématurément est en fait une guerre de positionnement en prévision des prochaines échéances. Elle risque, au demeurant, de brouiller encore les cartes, d’amplifier les divisions et de conduire à une plus grande fragilisation du gouvernement qui, en plus du manque d’appui, pourrait se trouver en mal de repères.