Développement régional, mythe ou réalité ?

 

Investir massivement dans les régions intérieures défavorisées en vue d’y créer des emplois durables de façon significative, au point d’y faire baisser le chômage notamment, celui des jeunes diplômés du supérieur, figure au premier plan des revendications du soulèvement démocratique du 14 janvier 2011.
Près de six ans après, le développement régional ne figure ni dans la vision des pouvoirs publics, ni dans les textes et encore moins dans le vécu quotidien des populations concernées.
C’est pourquoi, les perturbations sociales, les revendications relatives au recrutement dans la fonction publique, les sociétés nationales, ainsi que les protestations périodiques qui réclament à l’Etat l’impulsion du processus développement, ne cesseront jamais dans les régions restées en marge de la croissance économique nationale.
Le gouvernement doit comprendre que tant que les régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest ne bénéficieront pas d’investissements privés pérennes, la Révolution restera un acquis fragile et inachevé, qui menace la stabilité politique, empêche la paix sociale et conteste l’autorité de l’Etat.
Récemment, le Chef du gouvernement a réuni uniquement 14 capitaines d’industrie, alors qu’il aurait fallu inviter les 80 consortiums d’entreprises, à savoir les patrons des groupes industriels les plus performants dans le pays pour les inciter à investir dans les régions défavorisées et à y créer des projets économiques créateurs d’emplois, ajoutant en guise d’apport que l’Etat est prêt à les soutenir dans ce sens.
Il est vrai qu’ils en ont les moyens, encore faut-il qu’ils aient la volonté et le goût d’aller si loin, prendre des risques au moment où les protestataires soudoyés par les barons de la contrebande peuvent brûler des engins coûteux d’une entreprise qui construit l’autoroute destinée à désenclaver leur région.
Il est exact que le Chef du gouvernement dispose d’arguments-chocs : le Japonais Yazaki qui a investi à Gafsa pour fabriquer des faisceaux électroniques, il y a plusieurs années, a décidé de doubler ses investissements sur place, orienté vers l’export. Il y a des investisseurs locaux tels que Délice, qui a construit une centrale laitière à Sidi Bouzid, au lendemain du 14 janvier 2011 pour un investissement de l’ordre de 65 MD, s’apprête à faire une extension sur place en investissant 20 autres MD, étant satisfait de la réussite de cet investissement. L’impact de cette réalisation sur l’animation économique de la région fait l’unanimité des habitants avec création de plusieurs centaines d’emplois permanents, directs et indirects. De leur côté les patrons ont demandé à l’Etat de remplir son rôle.
L’Etat doit donner un signal fort pour avoir un effet d’entrainement sur les acteurs économiques privés. Il a le devoir de rétablir sa propre autorité en réduisant la contrebande aux frontières et le commerce parallèle dans les villes. Il doit faire appliquer la loi et permettre à ceux qui veulent travailler de le faire librement en dispersant ceux qui bloquent routes et voies ferrées ainsi que l’accès aux postes de travail.
L’Etat doit punir sévèrement les corrompus pour donner valeur d’exemple aux apprentis ou aux candidats à la corruption active et passive.
Il doit aussi investir massivement dans les infrastructures de base pour les moderniser et supprimer les autorisations superflues afin de faire sauter les rentes de situation, comme celles qui empêchent les chaînes d’hypermarchés et de supermarchés de s’implanter dans les grandes villes et les zones défavorisées, faute de passer par une commission qui fait la pluie et le beau temps en faveur des uns et aux dépens des autres.
L’Etat hésite depuis cinq ans à investir dans le désenclavement des régions intérieures défavorisées : les études en vue d’implanter un réseau d’autoroutes pour rallier rapidement Sidi Bouzid, Kasserine et Gafsa à partir du littoral durent depuis plus de trois ans. Finalement, les pouvoirs publics semblent opter pour des routes express qui remplissent la même fonction ou presque mais coûtent moins cher, étant donné les normes internationales draconiennes en matière de réalisation d’autoroutes. Mais à ce jour, aucun investissement n’a été fait dans ce sens, le coût global étant de 6 milliards de dinars.
D’ailleurs, le réseau routier n’a pas enregistré d’amélioration sensible depuis six ans, alors que plusieurs bailleurs de fonds internationaux dont la BAD ont accordé plusieurs crédits dans ce but. Il semble que l’Administration ne soit pas si motivée ou mobilisée pour faire avancer études techniques, dossiers d’appels d’offres et faire aboutir la reconstruction de nos routes qui provoquent accidents mortels et dégâts coûteux à nos voitures.
Il appartient aux acteurs économiques privés d’investir dans les régions intérieures en prenant en charge le risque économique et financier, alors que c’est l’Etat qui doit prendre le risque politique et sécuritaire.
Il faut dire que l’Etat doit actionner des instruments incitatifs tels des avantages financiers motivants et des incitations fiscales significatives qui sont probablement les arguments les plus chers au cœur des hommes d’affaires. Alors que, compte tenu de l’ampleur de la crise socio-économique que vit notre pays, des notions telles que le patriotisme économique et la solidarité nationale devraient prévaloir. Un groupe industriel qui comporte plusieurs entreprises solides et prospères pourrait sans difficultés aucunes faire participer ses filiales dans l’implantation d’un projet en 12 ou 18 mois à Kasserine, à Gafsa ou à Sidi Bouzid et le faire aboutir, créant ainsi plusieurs centaines d’emplois permanents, ce qui favorise l’animation de la vie économique régionale

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