La Tunisie se lance dans une entreprise de planification stratégique d’envergure avec l’élaboration de son plan de développement pour la période 2026-2030. Ce projet, présenté comme novateur, ambitionne de redéfinir les priorités économiques et sociales du pays en adoptant une approche «bottom-up» résolument tournée vers les territoires.
Par Mohamed ben Naceur
En rupture avec les schémas traditionnels, les autorités misent sur une construction collective, nourrie par une consultation élargie des acteurs régionaux et de la société civile, signalant une volonté de bâtir une vision plus inclusive et représentative des réalités vécues sur le terrain.
L’originalité de cette démarche réside dans l’adoption d’une approche véritablement ascendante. Pour la première fois, chaque gouvernorat est appelé à participer activement à la définition de ses priorités spécifiques à travers des assemblées consultatives dédiées. Cette territorialisation de la planification se veut une réponse concrète aux déséquilibres régionaux persistants, où les disparités de développement entre les zones côtières dynamiques et les régions intérieures souvent marginalisées atteignent des proportions alarmantes, avec des ratios pouvant aller jusqu’à 1 à 5. L’espoir est de voir émerger des stratégies adaptées aux besoins et aux potentialités de chaque territoire, favorisant une croissance plus équilibrée et une meilleure inclusion de l’ensemble du pays dans la dynamique de développement.
Cinq défis majeurs à l’horizon 2030
L’ambition de ce nouveau plan se heurte à une série de défis majeurs qui exigent des réponses audacieuses et efficaces. La fracture territoriale, avec ses conséquences en termes d’opportunités et de qualité de vie, demeure une préoccupation centrale. À cela s’ajoute une croissance économique atone, illustrée par un modeste 1,4% en 2023, qui peine à générer suffisamment d’emplois et de richesse. Le chômage endémique, touchant de manière particulièrement préoccupante les jeunes diplômés (avec un taux de 38%), constitue un frein majeur au progrès social et économique. Le fardeau d’une dette publique alarmante, culminant à 79,5% du PIB, limite considérablement les marges de manœuvre budgétaires. Enfin, l’urgence d’une transition énergétique s’impose face aux impératifs environnementaux et à la nécessité de réduire la dépendance aux énergies fossiles. Ces défis se déploient dans un contexte international délicat, marqué par une dégradation de la notation souveraine du pays, rendant l’accès aux financements extérieurs plus difficile et coûteux.
Six axes stratégiques prioritaires
Les travaux préparatoires ont permis d’identifier six axes stratégiques prioritaires qui devraient orienter le plan 2026-2030. Une nouvelle politique industrielle, axée sur le développement de pôles régionaux spécialisés, vise à dynamiser le tissu productif et à créer des emplois à valeur ajoutée sur l’ensemble du territoire. Une transition énergétique ambitieuse, avec l’objectif d’atteindre 35% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2030, ambitionne de moderniser le secteur énergétique et de contribuer à la lutte contre le changement climatique. La modernisation du secteur agricole, crucial pour la sécurité alimentaire et l’emploi rural, figure également parmi les priorités. Une réforme en profondeur du système éducatif est envisagée pour mieux aligner les compétences des jeunes avec les besoins du marché du travail. L’amélioration de l’inclusion financière vise à faciliter l’accès aux services financiers pour tous, notamment les populations les plus vulnérables et les petites entreprises. Enfin, une gouvernance territoriale rénovée est considérée comme essentielle pour assurer une mise en œuvre efficace et transparente des politiques de développement au niveau local.
Un calendrier serré pour une mise en œuvre rapide
Le processus d’élaboration de ce plan a été officiellement lancé en janvier 2024 et s’étalera sur une période de deux ans, témoignant de la complexité et de l’ampleur de la tâche. La phase cruciale de diagnostic territorial vise à recueillir les besoins et les aspirations des différentes régions. S’ensuivra une large concertation nationale au premier semestre 2025, destinée à synthétiser les contributions régionales et à construire un consensus autour des orientations stratégiques nationales. L’objectif est d’adopter le document final avant la fin de l’année 2025, afin de permettre une mise en œuvre dès janvier 2026. Ce calendrier serré souligne l’urgence d’agir et la volonté des autorités de traduire rapidement cette ambition en actions concrètes.
Les conditions indispensables au succès
Les experts insistent sur quatre facteurs clés qui conditionneront le succès de ce plan ambitieux. Un leadership est indispensable pour maintenir le cap et surmonter les inévitables résistances au changement. Une appropriation nationale par tous les acteurs, qu’il s’agisse des institutions publiques, du secteur privé, de la société civile ou des citoyens, est essentielle pour garantir l’adhésion et la participation active à la mise en œuvre. Des financements garantis sont cruciaux pour concrétiser les projets et les réformes envisagés, ce qui nécessitera de convaincre les partenaires internationaux et les investisseurs privés de la pertinence et de la crédibilité de cette nouvelle feuille de route. Enfin, un système de suivi rigoureux est indispensable pour évaluer l’avancement des objectifs, identifier les éventuels blocages et ajuster les politiques en conséquence.
Une ultime chance pour le redressement national
Ce nouveau plan de développement représente probablement une ultime opportunité pour la Tunisie de s’extraire de l’enlisement économique et social qui menace son avenir. Sa réussite dépendra fondamentalement de la capacité des différents acteurs à transcender leurs divergences et à œuvrer de concert pour l’intérêt général du pays. Les mois à venir seront décisifs pour transformer cette ambition en une réalité tangible, capable de redonner espoir et de tracer la voie d’un avenir plus prospère et équitable pour tous les Tunisiens. L’heure n’est plus aux atermoiements, mais à des choix courageux et à une action concertée pour le redressement national.