Le mal est connu, ses raisons profondes également, mais les thérapeutiques à administrer font toujours polémique et divisent classe politique, acteurs sociaux et experts de tous bords. Pourtant tout le monde est conscient que la Tunisie est malade, gravement malade même, que des sacrifices sont nécessaires pour la sauver de cinq années de gestion calamiteuse de ses affaires par des gouvernements qui se sont souciés plus de procéder à des rafistolages que de concevoir des solutions qui remettraient le pays sur les rails.
Dans ce maelström que vit la Tunisie, le grand paradoxe est que tout le monde prêche le faux non pour avoir le vrai, mais plutôt pour rechercher des visées politiciennes, poursuivre des surenchères stériles qui ont vidé le débat public de toute sa substance et entretenir des revendications sociales qui ont précipité le pays dans une crise de la dette publique sans précédent.
Le plus préoccupant dans tout cela, c’est que le dialogue a perdu ses vertus. On assiste plutôt à un dialogue de sourds entre partis politiques, qui sont prêts à s’entretuer pour accaparer le pouvoir, entre les partis et le gouvernement, qui peine encore à trouver l’appui politique nécessaire pour entreprendre les réformes sans tarder et à imposer la force de droit. Un dialogue de sourds également entre le gouvernement et une opposition hétéroclite, mais active, qui rejette tout sans pour autant être capable de se présenter en tant que force de proposition et de construction. Dialogue de sourds, entre une société civile dont le champ d’action s’est remarquablement élargi mais qui, faute d’organisation ou de vision devient l’objet de toutes les manipulations. Dialogue de sourds, enfin, entre un gouvernement qui reste incapable à faire prévaloir son autorité, ses choix et son programme et des organisations nationales dont l’action se situe en dehors du temps et de l’espace. Est-il loisible quand on sait que les caisses du pays sont vides, que l’Etat affronte toutes les difficultés du monde pour boucler le budget 2016, que la Tunisie -qui détient un triste record en termes du volume de la masse salariale dans la fonction publique, est obligée de s’endetter pour servir les salaires et les pensions des retraités, de constater un acharnement de l’UGTT qui réclame de nouvelles augmentations salariales pour 2017 et refuse obstinément, sous des arguments peu convaincants, tout partage des sacrifices ? S’acharner contre le gouvernement d’union nationale dont il fait pourtant partie, en l’accusant de non-respect de l’accord de Carthage, refuser de reconnaitre que les caisses du pays sont à sec en tentant de diaboliser les chefs d’entreprises, utiliser à fond son prochain congrès pour des raisons purement électoralistes en faisant monter la tension sociale et les enchères, semblent de plus en plus comme une piste glissante. Une piste qui ne sert en rien les intérêts de la Centrale syndicale et encore moins son histoire ou son parcours militant exceptionnel.
L’on sait que sous d’autres cieux où les traditions syndicales sont profondément ancrées, les syndicats, c’est le cas en Allemagne pendant la crise des années 2000, ont été aux premiers rangs pour sauver l’entreprise et l’emploi, en acquiesçant des sacrifices, sans stigmatiser les opérateurs économiques, ni d’en faire les ennemis des travailleurs.
Dans ce contexte, tendu et entouré d’un épais nuage, chaque partie rejette la responsabilité de ce dérapage sur l’autre, refuse de voir la réalité d’en face et tout en réclamant une piste de sortie de crise, celle qui sert ses propres intérêts, ses ambitions, non le sauvetage du pays d’un scénario du pire.
Face à une situation complexe et difficile, est-il possible de restaurer une confiance, de rebâtir une image plus valorisante du site tunisien des affaires et de réhabiliter l’effort ? L’entreprise semble irréalisable.
Parce qu’on continue de négliger toute velléité de compromis, de manquer de détermination pour affronter les difficultés en rangs serrés, de poursuivre la manipulation de l’opinion publique, d’entretenir la tension sociale et de ne pas prendre la mesure des défis qui se pointent. Cette inconscience est probablement le danger mortel qui guette la Tunisie.