La rationalisation de la compensation est présentée par le gouvernement comme un impératif inéluctable et une urgence alors que l’UGTT, certains partis politiques et la société civile sont formellement opposés à cette solution.
À la veille du dialogue économique national qui doit normalement trancher sur cette question rien n’est encore décidé pour les denrées alimentaires de base alors que pour les carburants, des décisions semblent avoir été déjà prises.
L’inflation va connaître une flambée au cours des prochains mois et le pouvoir d’achat déjà fortement entamé depuis trois ans risque de sombrer. L’automne sera très chaud pour les classes défavorisées et moyennes.
Les contraintes et les engagements
La problématique de la compensation est très complexe car les considérations financières et économiques sont aggravées par les aspects sociaux et la dimension nationale est parasytée par l’envolée et l’instabilité des cours du pétrole et des denrées alimentaires sur la marché mondial. A cela s’ajoute la dévaluation lente mais sûre du dinar tunisien vis-à-vis des devises, notamment l’euro.
Pour les contraintes, il y a d’abord le poids lourd de la Caisse générale de compensation qui a quadruplé de volume de 2010 à 2014, passant de 1,6 MD à plus de 6 milliards de dinars suite à l’envolée des prix du pétrole qui rode autour de 110 dollars US le baril de brut sur le marché mondial.
Le montant alloué à la compensation dépasse le budget consacré au développement et à l’investissement, ce qui constitue un déséquilibre structurel pour le Budget de l’État pour 2014.
Les études faites par l’Institut des statistiques montrent que 12% seulement de la compensation bénéficient aux catégories défavorisées de la population alors que le reste profite aux riches et à ceux qui n’en ont pas besoin. Il faut dire que l’essentiel de la compensation va au carburant, à l’électricité et au gaz.
Le montant de la compensation relative aux produits alimentaires de base est passée de 750 MD en 2010 à 1450 MD en 2013.
Il y a lieu de reconnaître que la réforme de la compensation figure parmi les engagements pris par gouvernements tunisiens successifs, vis-à-vis des institutions financières internationales lors des négociations.
Fuites et détournements
Il y a lieu de reconnaître que le système de la compensation, en l’absence d’un contrôle rigoureux comporte de multiples fuites, gaspillages et détournements vis-à-vis de ses objectifs sociaux.
En effet, de multiples exemples montrent que la farine compensée sert également à la préparation des pâtisseries vendues très cher et ne figurant pas parmi les produits de base. Il en est de même pour le sucre qui bénéficie des subventions de la compensation.
En outre, les classes aisées qui n’ont pas besoin de la compensation en bénéficient largement : 4×4 énergétivores, sucre, pain et pâtes compensées tarifs électriques bonifiés. Les 1,5 million de libyens qui séjournent en Tunisie bénéficient de la compensation mais n’en ont pas besoin.
Il y a là des déperditions injustifiées auxquelles il faudrait remédier.
Quelles solutions pour protéger le pouvoir d’achat
Il semble qu’il y ait consensus pour la protection du pouvoir d’achat résiduel des classes défavorisées mais peut être pas celui des classes moyennes, ce qui est un tort vu que toutes les deux souffrent de l’inflation galopante qui sévit dans le pays à un taux largement supérieur aux 6% officiels chaque année depuis trois ans. Il reste à trouver une solution efficace.
C’est pourquoi, les pouvoirs publics s’acheminent d’une approche de compensation des prix à une approche de compensation des revenus. Dans l’attente d’un identifiant unique, la proposition faite par le gouvernement aux partenaires du dialogue économique national porte sur des réajustements modérés de certains produits alimentaires de base. La consommation du Tunisien en pain exprimée en volume de farine porte sur 70% en gros pains et 30% en baguettes. La proposition consiste à arrêter de compenser la baguette et d’augmenter le prix du gros pain de 20 millimes. Cette proposition ignore la symbolique liée au prix du pain qui a provoqué en Tunisie comme ailleurs dans le monde des émeutes populaires même si la différence est minime et même s’il y a compensation par ailleurs pour les catégories défavorisées.
Pour les pâtes, l’augmentation proposée est de 60 millims par kg. Il est à remarquer que le prix réel pour un sac de semoule de 100 kg est de 106D, ramené à 45 D après compensation. Pour le sucre, le prix réel est de 1,100 D le kg, ramené à 0,970 D après compensation : l’augmentation prévue est de 100 millimes.
Pour éviter les détournements du sucre compensé, il est envisagé de créer des emballages différents entre le sucre destiné à la consommation familiale et celui destiné à l’usage industriel et professionnel.
L’ensemble de ces mesures devrait dégager 200 millions de dinars d’économies ainsi réparties : 100 millions de dinars sur les prix pratiqués et 100 autres suite à la maîtrise et à la transparence des circuits.
La pilule amère des augmentations énergétiques
Il semble que la décision a été prise pour augmenter le prix de l’essence super de 100 millimes dès la fin du mois de mai dans une première étape.
Cela ne manquera pas de faire tache d’huile, c’est-à-dire de toucher non seulement le prix du transport, celui des marchandises et des personnes, mais aussi de tous les produits sur le marché car le transport est un dénominateur commun à toutes les activités économiques. Il y a lieu de s’attendre à une vive réaction des professionnels du transport : taxis, louages, sociétés régionales de transport, transport rural,… pour l’électricité, la STEG a déjà augmenté ses tarifs depuis le 1er janvier 2014 : le prix du kilowatt/heure a augmenté et le positionnement des seuils de consommation a été modifié. Le consommateur est ainsi doublement pénalisé : le montant de certaines factures pour des familles moyennes a augmenté de 50% ce qui est abusif. Or une deuxième augmentation de 10% est prévue à partir du 1er juin 2014 : c’est à croire que ce sont les clients bons payeurs de la STEG qui paient pour les mauvais payeurs et surtout pour les défaillances de la STEG relatives aux privilégiés de l’ancien régime qui ont laissé des ardoises. Finalement c’est le consommateur classe moyenne qui va payer la lourde facture de la révision de la compensation, ce qui est injuste, surtout qu’il y a une évasion fiscale énorme qui devrait apporter des solutions pour le financement de la compensation.
Ridha Lahmar