Le retour au bercail des élus “dissidents” n’a pas calmé l’ambiance hargneuse dans l’hémicycle et sa séance plénière de reprise du 2 novembre a été le théâtre de vives discussions avec leurs collègues “légalistes”. Malgré tous les points de désaccord et les menaces des Ayadi, Badi, Attig et consorts, quelques modifications ont pu être apportées au règlement intérieur de l’ANC et aux prérogatives du président de la République.
* Le choix du nouveau Premier ministre. Il fallait s’y attendre : malgré le forcing effectué par la commission chargée de ce choix, aucun accord n’a pu se faire dans les délais prévus et le score est toujours de 14 voix pour Mohamed Ennaceur et de 4 pour Ahmed Mestiri. Certes le choix est difficile entre ces deux mastodontes. Rappelons qu’Ahmed Mestiri a été ministre de la Justice (père du CSP) et de l’Intérieur sous le régime de Bourguiba, même s’il n’était pas un inconditionnel et s’il a fondé le MDS en 1978. Quant à Mohamed Ennaceur, il a été ministre du Travail et des Affaires sociales sous Bourguiba et ministre des Affaires sociales dans les premiers ministères après la Révolution, et il a toujours été un ami de Réalités sous le régime de Ben Ali et un fidèle de tous les forums du journal.
Le SG de l’Alliance démocratique a fait une proposition intéressante devant le blocage persistant: il propose que le Premier ministre soit accompagné de deux vice-Premiers ministres. On pourrait ainsi avoir Mohamed Ennaceur à la Primature, Ahmed Mestiri et par exemple Jelloul Ayed (qui paraît avoir l’aval d’Ennahdha) ou un autre des cinq candidats proposés. Cela permettrait à Amhed Mestiri, ancien ministre de la Justice puis de l’Intérieur, de s’occuper de tout ce qui concerne la sécurité, qui va demeurer le grand problème pendant plusieurs années, et au second vice-président de chapeauter le reste des activités gouvernementales, secondés par les ministres responsables. Et à ce sujet, je souhaite que Lotfi Ben Jeddou conserve son poste pour continuer l’excellent travail qu’il a accompli jusqu’à présent (et qui serait plus fécond s’il était mieux secondé) avec la confiance réciproque qu’il a de ses troupes.
La situation sécuritaire : passage à la vitesse supérieure ?
Alors que l’Armée et la Garde nationale crapahutent dans les djebels ou arpentent les rues des villes et villages, procédant à des fouilles à la recherche des complices des égorgeurs de Sidi Ali Ben Aoun — d’ailleurs plusieurs arrestations (une vingtaine) ont été opérées, le centre d’intérêt de la situation sécuritaire s’est déplacé ces jours derniers dans le Sahel, jusqu’ici “négligé” par la nébuleuse djihadiste.
C’est là une preuve flagrante de la tactique des terroristes, afin d’élargir le champ de leurs opérations, qui vont sans doute être de plus en plus délocalisées et menacer l’ensemble du territoire de la République, obligeant ainsi les forces de sécurité intérieure, voire l’armée, à disperser leurs efforts et ainsi s’affaiblir, alors qu’elles sont déjà handicapées par un manque flagrant de matériel (véhicules, gilets pare-balles, etc.) qu’elles réclament.
À cet effet (de généralisation des actes criminels) un jeune fanatique, empêché par des vigiles d’entrer dans un hôtel du centre-ville de Sousse, s’est fait exploser sur la plage, au milieu des parasols, heureusement sans faire de victimes. À Monastir (à 20 km de la Perle du Sahel) c’est un autre jeune de 18 ans qui a été arrêté au moment où il tentait de pénétrer avec des explosifs dans le mausolée du Père de la Nation — à ce sujet, le journal on line Business news signale qu’il s’agit du fils d’une femme membre de la Ligue de Protection de la Révolution de Zaghouan, qui s’épanche sur les réseaux sociaux en accusant le gouvernement d’avoir laissé les djihadistes endoctriner son fils, ne serait-ce pas plutôt d’avoir vécu dans une ambiance de violence et qui aurait décervelé son fils ?
Dans ces deux cas, c’est le secteur du Tourisme qui était visé, pour faire peur aux touristes résidant à l’hôtel de Sousse et éventuellement à des touristes venus à Monastir, visiter le tombeau d’un homme célèbre (comme je suis allé, en Inde, visiter le tombeau de Gandhi), et affaiblir encore un peu plus la situation économique de la Tunisie. Heureusement ces deux opérations n’ont pas fait de victimes, il n’en est pas de même à Ksar Hellal où un soldat, rentrant chez lui à la tombée de la nuit, a été, lui, agressé et blessé à plusieurs reprises par quatre personnes masquées et cagoulées. Ce dernier attentat montre que, pour les terroristes, le soldat qui rentre chez lui, l’agent de police qui patrouille ou règle la circulation (à Menzel Bourguiba la semaine dernière) le douanier qui ne fait que son travail, le garde national qui enquête, tous ces gens-là qui portent un uniforme, représentent le “taghout” abhorré et méritent la mort, alors qu’ils ne font que protéger le pays et ses habitants. Et c’est pour cela qu’il faut que tous les citoyens aident les forces intérieures de sécurité — non pas en s’exposant, ce n’est pas leur rôle —, mais en étant vigilants et en signalant aux autorités ce qui leur paraitrait anormal — une voiture louche, un niqab paraissant être porté par un homme, un objet bizarre (comme à Sfax la semaine dernière), des allées et venues anormales autour d’une mosquée… même si cela s’avère inutile après contrôle.
Raouf Bahri