Digressions

Par Foued Zaouche*

Dans un demi-sommeil, dans celui où les idées se bousculent, toutes plus insolites les unes que les autres, une réflexion m’est venue à l’esprit, saugrenue et étrange. Elle consistait en ceci : si «on» me donnait le choix de revenir sur Terre après ma mort, quand je déciderais-je de le faire ? Dans cent ans, dans mille ans… ?

Je tombais alors dans un abîme de réflexions, car j’étais partagé entre plusieurs options. J’écartais aussitôt l’intervalle du siècle, car il était évident que ce serait encore trop tôt et que je risquais de retrouver la Terre dans un état pire que je ne l’avais laissée, les mêmes passions, les mêmes rivalités, les mêmes fanatismes meurtriers, les mêmes égoïsmes, les mêmes volontés de puissance, tout ce que nous pouvons observer aujourd’hui.

Le progrès de l’homme passe obligatoirement par son bien-être matériel, c’est-à-dire qu’il faut résoudre ses priorités primordiales que sont la nourriture, la santé et l’éducation pour tous. Il ne peut y avoir civilisation véritable si ces besoins fondamentaux sont bafoués.

Pour que cela soit possible un jour, il faut laisser le temps au métissage culturel de s’opérer en profondeur. J’entends par métissage, non une pensée unique, quoiqu’un jour, il faudra bien que l’homme tire les mêmes conclusions d’une réalité commune et qu’il observe l’aventure humaine comme la même pour tous, mais disons que cela sera pour plus tard. Pour l’instant, il suffit de considérer le métissage culturel comme la connaissance et l’acceptation de l’autre dans sa différence, chaque culture ayant extirpé de son essence tout ce qui a trait au rejet de l’autre comme les notions de sang impur, d’infidèle, d’inégalité raciale ou sexuelle.

Combien de siècles, combien de milliers d’années faudra-t-il à l’humanité pour évoluer vers plus de compassion et de générosité envers elle-même tout d’abord, mais aussi et surtout envers la nature et la vie qui l’environne ? Quand l’homme cessera-t-il d’être ce prédateur avide et inconscient qui n’a de cesse de détruire, de saccager, de polluer… de cesser le gâchis insupportable de nos ressources naturelles ?

Il y a pour moi une image transcendante parmi toutes les autres et qui oblige à une réflexion globale. Cette image a été le privilège de notre génération. Pour la première fois dans l’histoire de l’homme, c’est la vision de la Terre vue de l’espace, une planète lumineuse et brillante flottant dans l’espace sidéral qui habille mes rêves comme une promesse d’intelligence et de sérénité. Nous habitons cette Terre et nous commençons à peine à sortir d’une conscience primitive pour construire notre avenir. Un avenir réel et physique qui n’est pas le fruit d’une illusion, mais celui d’une réalité tangible qui fait de nous tous des êtres embarqués sur le même vaisseau spatial au milieu d’un océan infini voguant au gré des vents de l’éternité.

Finalement, si j’avais vraiment à choisir un temps pour mon «retour» sur Terre, je choisirais de revenir dans dix mille ans. Je pense que ce sera le temps nécessaire pour apaiser les passions humaines et pour voir émerger un homme tranquille et serein, réconcilié avec lui-même. Nous considérons que nous avons dix mille ans d’histoire écrite si nous prenons en considération les premières tablettes sumériennes comme les premières traces d’une humanité organisée, nous serions donc au milieu du gué qui nous sépare de la terre promise, une terre pacifiée et solidaire.

Certes, il se pourrait que dans cet intervalle il n’y ait plus d’homme sur cette Terre et qu’elle soit devenue une planète d’insectes capables de résister aux conditions les plus extrêmes. La folie et la stupidité des hommes ayant rendu la planète inhabitable par un effet de serre à la manière de Vénus dont l’atmosphère gazeuse et la température de 420 degrés empêchent toute vie d’émerger.

Qui sait ce dont l’homme est capable ? Du meilleur comme du pire. Penser les échéances lointaines ne nous empêche pas d’espérer en ce petit mammifère choisi par les hasards de l’évolution pour être le vecteur d’une conscience bien plus grande que lui. Peut-être que nous finirons par comprendre que nous sommes seulement les porteurs et les gardiens d’un feu sacré à la manière des premiers hommes qui recueillaient le feu tombé du ciel et qui le préservaient comme le gage de leur survie, un feu qui troue les ténèbres, un feu qui réchauffe, un feu qui alimente… Nous avons tant besoin de lumière en ces temps d’obscurité.

Cela est mon dernier article après huit années de chroniques régulières dans cet hebdomadaire. J’avoue avoir cru en la Révolution et en ses promesses. Je fais le constat amer, avec d’autres certainement, qu’une nouvelle dictature est en train de se mettre en place lentement et sûrement. Elle sera la pire de toutes, car elle touchera notre manière de vivre et de penser et nous allons payer le prix de notre naïveté. 

J’espère ardemment me tromper, car tout est toujours possible. Je voudrais remercier tous les lecteurs qui m’ont témoigné leur sympathie durant toutes ces années. Je vais consacrer le temps qui me reste évidemment à la peinture qui est mon espace de vie et de combats et au roman qui est mon espace de liberté et d’ivresse.

                                      *Artiste-peintre et écrivain

                                      www.fouedzaouche.com

 

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