Dilemme du flux subsaharien

Deux positions gravitent autour de l’actuelle situation. D’une part, nous regardent les « principes catégoriques » de Kant, le penseur de l’éthique, avec le célèbre « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin jamais simplement comme un moyen  ». De l’autre, le « conseil de sécurité nationale », édicte les prescriptions aptes à stopper l’afflux irrégulier. D’apparence incompatibles, ces deux prémisses aboutissent dans tous les pays à la même conclusion : le régulier, oui, l’irrégulier non.
Cependant, l’interprétation radicale de la codification kantienne abolirait la cloison dressée entre le clandestin et le régulier. D’où provient ce hiatus infiltré entre l’éthique et la pratique ? Naïf ou chevronné, le philosophe parle d’humanité. Les mêmes catégories de pensée animent les dévoués aux « Droits de l’Homme ». Hélas, pour les tenants de l’anthropologie, l’homme et l’humanité n’existent pas.
Les sociétés occupent le territoire évacué par « l’humanité ». Dans ces conditions, l’observation, nerf de l’investigation, assure le passage de l’abstrait au concret.
Voilà pourquoi les règles restrictives de l’immigration clandestine ont partie liée avec toutes les sociétés, n’en déplaise au parfum des fleurs humé par les enfants de chœur. Trump tenait à son mur et pour Michel Rocard, « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». Capitaliste et socialiste, même combat face au débat diplomatique, sécuritaire et militaire. Partout, ce divorce prononcé entre l’éthique et la pratique, baigne dans l’atmosphère ethniciste, autrement dit raciste. A ce propos, Claude Lévi-Strauss écrit ceci : « L’entreprise serait, aussi, éminemment apte à contrecarrer les préjugés de race puisque, en face des conceptions racistes qui veulent voir dans l’homme un produit de son corps, on montrerait, au contraire, que c’est l’homme qui, toujours et partout, a su faire de son corps, un produit de ses techniques et de ses représentations ». Hélas, la connaissance a ses raisons que l’ignorance ne connaît pas. Interviewé le 24 février à Saouaf, Houcine Hedhli, ingénieur agronome et grand connaisseur des campagnes tunisiennes, sillonnées durant trente années, me dit : « Les agriculteurs préfèrent employer la main-d’œuvre subsaharienne surexploitée, sous-payée, disponible et malaisée à contrôler vu l’étendue ». Alors, la personne à la peau noire et donc peut-être mal-aimée, obtient la préférence en matière d’emploi, par intérêt de l’employeur soucieux d’économiser. Le même procès fut étudié lors de thèses dirigées par Paul-Henri Chombart de Lauwe. Les employeurs français préfèrent engager les Nord-africains, par ailleurs stigmatisés. A Tunis, que vois-je sur les routes ? Avant que le convoi ne bouge, la file des voitures attend face au feu rouge. 
Un Subsaharien, avec un chiffon à la main, propose le nettoyage du pare-brise et demande au conducteur s’il veut bien. Il sourit et commence par porter sa main vers son cœur pour dire : « Vous n’aimez peut-être pas ma couleur mais moi, je suis gentil ». « Peau noire, masque blanc », écrivait Fanon. Comment surplomber ces préjugés collés au tréfonds des subjectivités ? Un second Subsaharien avance vers la fenêtre de la conductrice et dirige vers sa bouche entrouverte, les cinq doigts réunis, de la main. 
Le geste et la mimique veulent dire : « Madame, s’il vous plaît, donnez-moi de quoi manger. A ce moment-là où, invisible, une main serre les tripes de maints témoins, il n’y a plus ni Subsaharien, ni Tunisien. Les yeux dans les yeux, la présence et la proximité outrepassent la bêtise des préjugés. « Vous n’êtes, les uns vis-à-vis des autres, ni homme, ni femme, ni blanc, ni noir, ni maîtres, ni esclaves, tous vous êtes un dans le Christ Jésus ».
Disposition profonde, la reconnaissance transcende la socialisation xénophobe et spécifie la pédagogie par où le racisme finit.

 

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