Donald Trump et la détresse sociale

L’élection de Donal Trump a été une surprise pour les instituts de sondage, les observateurs et les analystes politiques. Jusqu’au bout et en dépit du manque d’empathie que pouvait susciter la candidature de Hilary Clinton, on était persuadé qu’elle allait remporter ces élections. Une conviction d’autant plus forte que le candidat Donald Trump paraissait loin d’incarner la démocratie américaine. La candidature Trump semblait souffrir de plusieurs handicaps dont l’absence d’un programme crédible et surtout de la brutalité et de la violence de ses propos, notamment contre les femmes, les immigrés et les autres groupes sociaux marginalisés. Ces propos excessifs et violents ont été à l’origine de la désertion de plusieurs hauts responsables du Grand « Old Party » qui ont laissé Donald Trump conduire une campagne avec un nombre réduit de fidèles.
Certes, plusieurs analystes avaient souligné pendant la campagne et devant la montée du phénomène Trump et sa victoire écrasante face aux autres candidats classiques du parti républicain, l’extrême polarisation de la société américaine et la montée des inégalités qui nourrissaient les frustrations et créaient des peurs et des inquiétudes. Ces analyses montraient que parallèlement aux aspects positifs du bilan du Président Barack Obama, avec notamment la baisse du chômage après les années de crise, le retour en force des entreprises américaines dans les nouvelles technologies et l’extension du système de sécurité sociale aux plus démunis, la société américaine avait un autre visage avec le déclassement d’une grande partie de la classe ouvrière notamment dans les petites villes du Sud et la montée des frustrations et de la colère des classes moyennes blanches. Mais, à aucun moment les analyses et les lectures ne laissaient prévoir une victoire de Donald Trump que beaucoup présentaient comme une candidature de contestation comme celle de Pat Buchanan ou d’autres candidats de la droite populiste dont les effets s’estomperont après la campagne.
Or, les résultats de cette campagne et la victoire de Donald Trump ont défait toutes les analyses et les pronostics. Et, c’est comme au début des années 1980 pour Ronald Reagan, le candidat anti-establishment a remporté les élections haut la main. Une victoire qui a été perçue comme un cri de détresse de la part de la marge dont l’angoisse et les peurs n’ont pas été prises en considération de la part des élites politiques traditionnelles.
Pour comprendre cette victoire, il faut revenir aux transformations économiques et sociales que les Etats-Unis ont connues depuis la fin des années 1970. La grande crise de l’industrie fordiste dès le début des années 1970 et la chute de la productivité du travail ont été à l’origine d’une importante délocalisation des activités traditionnelles et de la mise en place d’un nouveau modèle de production et de travail basé sur les nouvelles technologies. Ces transformations économiques ont été à l’origine de mutations sociales majeures avec la montée du chômage et le changement des modes de travail. La délocalisation des activités intensives en travail et des industries traditionnelles ont été au cœur des premières gestations de la mondialisation et d’une plus grande ouverture des frontières économiques avec la montée du libre-échange. Ainsi, l’ouverture du marché américain a encouragé les délocalisations et les importations et une plus grande spécialisation de l’économie américaine vers les secteurs des nouvelles technologies.
Ces transformations ont mis à mal le contrat social américain et ont nourri les angoisses et les inquiétudes d’une classe ouvrière américaine de plus en plus déclassée et incapable de retrouver de nouveaux projets collectifs. Le délitement du lien social va se poursuivre et le modèle Silicon Valley avec les industries de nouvelles technologies va l’emporter de plus en plus et dominer le modèle de Detroit, la grande cité de l’industrie automobile, qui était la ville la plus florissante des Etats-Unis lors de l’âge d’or du fordisme, devenue depuis une ville fantôme avec la fermeture d’un grand nombre d’usines.
Ce mouvement de délocalisation va se renforcer avec la globalisation dans les années 1990 et va bénéficier aux pays émergents, notamment les pays asiatiques avec à leur tête la Chine, qui vont devenir de nouvelles puissances économiques et les grands fournisseurs des pays développés et des Etats-Unis des biens intensifs en main d’œuvre. Mais, parallèlement à la montée de la globalisation, le tournant libéral des années 1990 a été à l’origine d’un développement de la sphère financière et de l’explosion des revenus financiers. Cette financiarisation a été à l’origine d’une explosion des inégalités sociales aux Etats-Unis qui ont retrouvé leurs niveaux de la grande crise de 1929 et surtout d’une grande fragilisation des classes moyennes blanches.
Ainsi, le déclassement des classes ouvrières et la stagnation des classes moyennes ont été à l’origine d’une grande détresse sociale et d’une extrême polarisation des Etats-Unis entre les grandes villes sur les océans plus mélangés et multiculturelles qui ont réussi leurs mutations technologiques et les petites villes continentales à domination blanche empétrées dans la crise du modèle fordiste. Cette polarisation sera à l’origine de l’émergence de deux Amériques : une ouverte et post-moderne et une autre conservatrice et réactionnaire dont l’objectif est de revenir au monde d’avant et de défendre la société fermée d’antan qui a été à l’origine de leur prospérité et de leur aisance lors des trente glorieuses.
Ce sont ces frustrations, ces peurs et cette détresse qui seront à l’origine de cette forte mobilisation de l’Amérique profonde en faveur de celui qui leur a promis tout au long de sa campagne de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Donald Trump a réussi mieux que quiconque lors de cette campagne à incarner cette détresse qui va lui permettre d’entamer une nouvelle ère conservatrice aux Etats-Unis. Une ère pleine d’inquiétudes et d’appréhensions quant à l’avenir de la stabilité du monde et de la coopération internationale.

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