Droit à l’avortement/ Espagne : « C’est une loi pour la souffrance de la femme »

Le texte visant à limiter le droit à l’avortement en Espagne vient de passer une première étape vers sa validation. Au congrès des députés, les élus ont rejeté une motion du PSOE demandant le « retrait immédiat » du texte. Alors que les sondages donnent raison à la rue, le gouvernement s’accroche à ce projet de loi afin de satisfaire son aile droite catholique et ultra-conservatrice. Retour sur un texte controversé qui classera l’Espagne parmi les pays les plus restrictifs en la matière.

Ce jour-là, elles sont plusieurs dizaines à se rendre au service du Registre commercial des biens mobiliers dans un simple but : faire enregistrer leur corps comme propriété privée. Devant des employés intrigués et amusés, ces militantes pour le droit à l’avortement inscrivent sur le certificat un descriptif détaillé de leur corps. Yolanda Dominguez, artiste et militante madrilène donne le ton «nous voulions affirmer de manière officielle que notre corps nous appartient».  Elles sont plusieurs centaines à travers les grandes villes d’Espagne à mener cette action afin que l’État ne puisse pas avoir de droits dessus. Une initiative certes, symbolique mais qui a une portée réellement juridique.

Considéré par l’opposition et les associations comme un retour de 40 ans en arrière, ce projet de loi vise effectivement à abroger un certain nombre de dispositions prises par l’ancien gouvernement socialiste. C’est en 1985 que l’avortement est autorisé en Espagne. En 2010, le délai de l’IVG est étendu à 14 semaines, et facilite son accès en supprimant l’obligation de justification pour la femme. Avec cette mesure, Zapatero réalise une de ses mesures-phare de son mandat, l’avortement devient, juridiquement parlant, un droit.

Le projet de loi déposé par le Parti populaire de Mariano Rajoy, réduit presque à néant ce droit. Dans  ce nouveau texte, l’IVG peut être pratiquée jusqu’à 12 semaines et dans deux cas seulement, : en cas de viol et en cas de danger physique et psychique pour la femme. Ensuite, il faut l’accord de deux médecins différents, et n’appartenant pas à l’établissement où sera pratiquée l’opération. Enfin, femmes et médecins encourent des peines de prison en cas de non respect de la loi. «Pour simplifier, avec la loi en vigueur de 2010, aucune femme n’était obligée d’avorter ; avec celle-ci, beaucoup se verront contraintes d’enfanter. Il y a là une confusion totale entre morale publique et privée, l’État s’arroge la prérogative de décider à la place des femmes. Ce virage radical est discriminatoire contre elles.» explique une activiste de l’association Decidir nos hace libres (Décider nous rend libres).

Dans un sondage publié le mois dernier par le quotidien El Pais, 86% des sondés considèrent qu’une femme doit pouvoir choisir de poursuivre ou non sa grossesse. En trois mois, les manifestations en faveur de l’avortement se sont multipliées réunissant les espagnoles au delà des clivages politiques. Un sénateur résume ce sentiment général «C’est une loi pour la souffrance de la femme et non pas pour ses droits» et poursuit en affirmant «Nous ne nous arrêterons pas tant que le projet ne sera pas retiré»

Pourtant le gouvernement de Mariano Rajoy n’en démord pas. C’est à travers la voix de son ministre de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardón que ce projet de loi est défendu avec ferveur le droit des non-nés : « En trente ans en politique, c’est probablement la décision la plus avancée et progressiste qu’on a eu l’occasion de proposer ». Celui ci, entaché par un récent scandale de corruption, doit faire peau neuve en se cherchant des alliés auprès de l’électorat catholique. Le numéro 1 de l’épiscopat, Roucou Varela, qualifiait récemment l’avortement « d’holocauste silencieux », en précisant que «l’embryon a le droit absolu à la vie, cela est en accord avec notre conception de la création divine».

Officiellement, l’objectif de Gallardón est de réduire le nombre d’avortements pratiqués en Espagne. Or il a statistiquement baissé ces deux dernières années. Face à cela, les associations et ONG s’inquiètent. Entre autres, Médecins du monde s’alarme d’une telle mesure “Les lois restrictives ne réduisent en aucun cas le nombre d’avortements. Elles aboutissent à ce que les femmes qui ont le moins de moyens financiers interrompent leur grossesse dans des conditions peu sûres et qui peuvent mettre leur vie en danger.”. Le planning familial français rappelle qu’une femme meurt dans le monde toutes les huit minutes d’un avortement clandestin. Car le risque est là. Certains médecins espagnols affirment qu’ils continueront à pratiquer les avortements pour que la santé des femmes soit préservée. On observe aussi que dans les pays où les restrictions sont plus importantes, de nombreuses femmes partent dans les pays voisins où l’accès à l’IVG est facilité. Sauf que sur cette échappatoire possible, il y a inégalité. «Les femmes riches iront se faire avorter dans d’autres pays de l’UE, comme c’était le cas dans les années 80 et 90 ; pendant ce temps, les femmes les plus modestes n’auront d’autre choix que de fréquenter des cliniques clandestines, hors de la légalité, et dans l’opprobre publique», s’insurge Isabel Serra Fuster, gynécologue.

Avec une majorité absolue au Congrès des députés, il est à craindre que ce projet de loi passera les différentes étapes jusqu’à sa publication prévue au printemps. Pourtant, les mobilisations continuent. Une femme, la cinquantaine, descendue dans la rue témoigne : « Je suis ici parce que mon pays régresse sur le droit des femmes. Le gouvernement veut ériger en crime quelque chose qui est normal. Je croyais qu’on avait réglé cette question il y a très longtemps ». Avec la progression des forces conservatrices et catholiques en Europe, ce que l’on considère comme un droit acquis, semble bien devenir un droit à défendre.

Marieau Palacio

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