Du rôle de l’opposition dans une démocratie

Quel rôle est imparti à l’opposition dans une démocratie ?
La question mérite bien d’être posée et analysée au regard de la qualité des débats à l’hémicycle de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) qui se transforme, chaque fois que le gouvernement présente un projet ou une initiative, en une véritable arène où toutes les dérives sont permises.
La question mérite qu’on s’y attarde pour mieux cerner l’action de certaines petites formations politiques, incapables de constituer même un groupe parlementaire, qui ont délibérément pris le parti de déclencher des crises à tout va. L’intention n’est pas toujours d’éclairer l’opinion publique et leurs adhérents sur des choix politiques, économiques ou sociaux, mais de semer le doute et la discorde à propos de fausses problématiques qu’ils n’ont pas su et eu le courage d’évoquer au moment où ils étaient au pouvoir.
Cette situation pousse au questionnement dans la mesure, où il revient à tout parti d’opposition de critiquer le gouvernement en place, dont la gestion des affaires publiques a été souvent confuse, hésitante et manquant de clarté et de cohérence, et non pas de verser dans le dénigrement systématique, l’incitation à la haine, à la propagation du mensonge et à l’encouragement des dissensions entre les régions et les catégories sociales.
Il est généralement admis que dans une démocratie, il est des lois qu’il faut respecter, des principes à partager et des exigences à satisfaire. Le respect de la volonté populaire passe invariablement par le respect des institutions représentatives et constitutionnelles, issues d’élections, dont tout le monde a accepté le verdict. Cela exige, a fortiori, le respect de certaines règles et l’acceptation de tout ce qui se décide démocratiquement dans la concertation et le dialogue. Il revient à l’opposition, quels que soient sa taille et son poids, de jouer le gardien de la démocratie et des libertés, de dénoncer, quand il le faut, des abus ou des dérives, de susciter un débat public sur des problématiques spécifiques, mais, aussi et également, de se plier aux mêmes règles de la démocratie qui font qu’une majorité existe et tire sa légitimité du pouvoir que lui a confié le peuple.
Ce que nous constatons ces derniers temps, ce sont des dérives graves et un manquement flagrant aux principes mêmes sur lesquels s’articule l’édifice que le pays ne cesse de s’évertuer à construire pièce par pièce. L’action de certaines petites formations politiques s’est focalisée fondamentalement sur le dénigrement systématique, la diffamation gratuite, le travail de sape et la création de sources de discorde et même de haine entre les catégories sociales sur toutes les questions.
Pour parler concret, le tollé provoqué, notamment ces derniers temps, par certains députés du Front populaire, du Courant démocratique et de quelques indépendants suite à l’adoption de la loi de Finances complémentaire et de la loi sur la recapitalisation des banques publiques (STB et BH) par une majorité confortable à l’ARP, laisse pantois.
Est-il loisible, après l’adoption de ces deux lois, de voir ces petits partis courir pour dénoncer le complot, arguant que la loi de Finances et celle de la recapitalisation des banques sont faites pour « permettre à une poignée de riches corrompus de remplir leurs poches » et de servir leurs intérêts et de demander purement et simplement l’annulation de ces deux lois ?
Ce qui dérange le plus dans l’action de l’opposition tunisienne, ce n’est pas tant la fermeté du ton ou de la critique, mais plutôt une certaine incapacité à présenter une alternative cohérente. Pour la loi de Finances complémentaire 2015, ce qui a le plus surpris a été de voir le président de la commission de finances à l’ARP, qui a entériné ce projet avant son passage en plénière, se mobiliser pour dénoncer une loi qui, à ses dires, ne répond pas aux aspirations des catégories les plus vulnérables. La proposition, quelque peu fantaisiste, qu’il a présentée dans la foulée pour accorder une prime de deux cents dinars aux chômeurs ne relève-t-elle pas du populisme et de la démagogie ? En définitive, une minorité, quels que soient son activisme et son militantisme, ne doit-t-elle pas dans une démocratie se plier à la loi de la majorité ? Lui revient-elle d’imposer, vaille que vaille, ses vues et ses positions même si son poids ne le lui permet pas ?
Il faut dire et réaffirmer que la Tunisie a, plus que jamais, besoin d’une opposition constamment en éveil, toujours alerte pour éclairer l’opinion publique, susciter un débat public, dénoncer des abus et des dérives, mais elle a également besoin d’une opposition capable de construire, de présenter une alternative crédible et défendable et de jouer entièrement son rôle dans le cadre du jeu démocratique. Ce rôle ne peut pas se développer, comme c’est le cas aujourd’hui, dans la dénonciation systématique, l’obstination à faire croire qu’il existe en Tunisie une lutte de classe qui oppose des « riches, corrompus et “mangeurs” de la sueur des pauvres », et les laissés pour compte, grands oubliés de la Révolution. Ce n’est pas avec ces méthodes d’action que la démocratie sera renforcée en Tunisie et l’audience des petites formations, dont certaines n’ont pas encore accepté leur déroute dans les dernières élections, sera renforcée. Bien au contraire.

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