Eau et environnement : Débâcle d’un pays pionnier

L’eau est le futur du monde, un futur de paix et de prospérité ou un futur de guerre et de déplacement des populations, selon l’intérêt et la sagesse qui seront accordés par les gouvernants du monde à la question de l’eau.

L’eau et l’environnement sont devenus des enjeux géopolitiques majeurs auxquels la Tunisie, qui possède un capital expérience et savoir-faire ancien non négligeable en la matière, doit se préparer, sans attendre les gros investissements qui tardent à venir. La parenthèse de la révolution a mis en veilleuse toutes ces capacités, mais la situation urge, désormais. Il faudrait commencer par revaloriser les anciennes expériences réussies et des solutions ancestrales.
En début de semaine, la Tunisie a abrité un événement d’importance majeure eu égard aux enjeux qu’il porte à l’échelle nationale, régionale et mondiale. Le Forum méditerranéen de l’eau a tenu sa cinquième édition dans nos murs, à l’invitation de deux départements ministériels partenaires dans la question complexe d’exploitation, de gestion, de préservation et de revalorisation des ressources hydriques : le ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche et le ministère de l’Environnement. De dimension méditerranéenne, le Forum a été organisé par la Sonède (Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux), en collaboration avec le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée (UPM) et en coordination avec l’Institut méditerranéen de l’eau (IME). La dimension régionale de la rencontre se fait l’écho d’un souci extranational d’identifier des expériences réussies dans les pays du bassin méditerranéen et des solutions techniques et scientifiques à l’épineuse question de la disponibilité de l’eau, facteur de survie et de développement socio-économique, au moment où la planète Terre fait face à des changements climatiques de plus en plus extrêmes dont la sécheresse est l’une des principales facettes.
Organisé tous les trois ans depuis 1997 par le Conseil mondial de l’eau, le Forum mondial de l’eau, principal événement international concernant les questions de l’eau, cible trois objectifs majeurs : l’identification des principaux usages de l’eau, la mise en lumière des solutions locales réussies en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement et la promotion des engagements des Etats et des autorités locales dans l’intégration des orientations et/ou des recommandations issues du Forum dans les politiques publiques et dans les programmes d’action de la société civile. Ces objectifs répondent à des soucis stratégiques à court, moyen et long termes. Il s’agit de protéger les ressources hydriques naturelles, notamment de la surexploitation des nappes, de mettre en œuvre des politiques de consommation basée sur la sobriété et la gestion rationnelle, en vue de lutter contre le gaspillage, de garantir une efficacité optimale des installations d’exploitation existantes qui peuvent souffrir de vétusté et de fuites importantes et de développer des ressources alternatives non-conventionnelles, telles que le traitement des eaux usées ou la désalinisation de l’eau de mer, tout en encourageant l’association des énergies renouvelables, dont le développement et la promotion deviennent, aussi, une urgence dans le cadre de la lutte mondiale contre les changements climatiques.

Enjeu géopolitique
L’eau est le futur du monde, un futur de paix et de prospérité ou un futur de guerre et de déplacement des populations, selon l’intérêt et la sagesse qui seront accordés par les gouvernants du monde à la question de l’eau. L’eau est devenue un enjeu géopolitique majeur depuis que de graves tensions liées à l’eau secouent diverses régions à travers le monde, notamment au Proche et Moyen-Orient (Egypte VS Ethiopie, Palestine VS Israël), et en Afrique. Selon une étude néerlandaise publiée en 2023,  le problème est en passe de s’étendre et de se compliquer. « Près d’un milliard de personnes pourraient être confrontées à des conflits liés aux cours d’eau d’ici à 2050 », note l’étude. Le groupe de chercheurs affirme que divers conflits peuvent surgir entre des Etats qui partagent des bassins fluviaux et même devenir plus fréquents à cause de l’augmentation des températures mondiales. Bien que la coopération l’ait emporté historiquement sur les conflits, les tensions autour de l’eau existent depuis longtemps et ont tendance aujourd’hui à augmenter, expliquent encore les chercheurs de l’Université d’Utrecht et de l’Université de Wageningen & Research.
Tous ces litiges potentiels, qui menacent de déstabiliser le monde, dictent à chacun des pays des cinq continents de se préparer au plus vite au nouveau défavorable contexte climatique dont l’un des premiers effets est la baisse drastique de la pluviométrie, y compris dans les régions habituellement pluvieuses, et ses corollaires la sécheresse, la baisse des récoltes et les incendies de forêts. Se préparer consiste à investir des fonds substantiels pour financer la transition écologique vers les énergies renouvelables et une gestion durable des ressources hydriques. Cela nécessite, pour la Tunisie en l’occurrence, la rénovation, la mise à niveau des infrastructures de stockage des ressources hydriques (barrages), d’exploitation urbaine (réseau Onas), d’utilisation agricole (irrigation) et de valorisation (stations de traitement des eaux usées).
En termes d’expériences et de compétences, la Tunisie est pionnière dans sa région. Depuis les années 1990,  alors qu’elle est l’un des pays méditerranéens les moins pourvus en ressources hydrauliques, la Tunisie s’est lancée dans une politique nationale avant-gardiste de protection de l’environnement et de développement durable qui a ciblé tous les axes et tous les domaines concernés par le sujet, tels que la gestion des eaux et des déchets solides, la rationalisation de la consommation d’eau et la gestion des eaux usées, la préservation du littoral marin, la protection de la biodiversité, etc. La parenthèse de la révolution et de la décennie ratée de la transition démocratique (2011-2021), a eu raison de toutes les infrastructures et des institutions (à l’exception du ministère de l’Environnement) chargées du dossier environnemental, sans oublier les stratégies nationales sectorielles ainsi qu’une société civile développée et spécialisée qui ont réussi à faire de la Tunisie un pays pionnier dans la protection de l’environnement au moment où beaucoup d’autres pays, dans diverses régions du monde, n’y prêtaient aucune attention.

Un capital expérience et savoir-faire
La Tunisie possède un capital expérience et savoir-faire, nourri par une longue et fructueuse coopération internationale, notamment allemande, qui lui permet aujourd’hui de relancer des solutions locales et anciennes (tri sélectif, barrage collinaire, épuration des eaux usées…) en attendant les gros et nouveaux investissements qui tardent à venir, pour notamment développer le très onéreux dessalement de l’eau de mer. Le blocus financier international engendré par le désaccord entre la Tunisie et le FMI sur la feuille de route et le calendrier des réformes sociales et économiques anticipant un possible octroi de prêt de 1,9 milliard de dollars, a bloqué tous les projets en instance et toute avancée de la Tunisie sur le chemin du développement socio-économique et sur la voie de la transition écologique au demeurant imposée à tous les pays en vertu des accords internationaux sur le climat et sur la réduction de la consommation des énergies fossiles.
La Tunisie, jadis pionnière, a perdu beaucoup de temps et de notoriété dans le domaine environnemental, mais il devient urgent de le rattraper pour sauver ce qui doit être sauvé des effets de la sécheresse qui menacent de s’aggraver : le secteur stratégique agricole et l’eau potable. Selon le « Rapport national sur le climat et le développement en Tunisie », élaboré en prélude à la COP28 (30 novembre-13 décembre 2023) sur les changements climatiques, « 71% des pertes de PIB imputables au climat d’ici à 2050 seront dues à des pénuries d’eau en Tunisie ».  Il s’agit donc là d’une urgence vitale qui doit être inscrite en tête des priorités nationales afin d’aspirer à un renouveau de la croissance économique et à la fin, ou au moins, au ralentissement de la fuite des cerveaux tunisiens vers d’autres contrées à la recherche d’emploi et d’horizons prometteurs.

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