Plus de 100 mille élèves abandonnent l’école chaque année. Plus de 977 mille élèves ont quitté l’école au cours de la dernière décennie. Des chiffres alarmants, livrés par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), qui suscitent des interrogations.
« Pourquoi donc ? » Nombreuse sont les raisons dont essentiellement la faiblesse du système éducatif en Tunisie comme l’explique la sociologue Latifa Tejouri.
L’école perd son rôle éducatif
En fait, après l’indépendance, l’Etat a choisi de prendre en charge l’intégration sociale des enfants. Par conséquent, la famille a été déléstée de ses responsabilités éducatives et ne s’est occupée que de son rôle économique. C’est pourquoi, le temps accordé aux rencontres familiales et au développement de la relation entre parents et enfants est limité s’il n’est pas absent totalement. Le rôle de la famille se limite à fournir de la nourriture et des services sanitaires. De plus,l’école a perdu son rôle éducatif et ne fait que dicter des informations, selon Latifa Tejouri.
55% de décrocheurs sont en 7ème année de base
Rayen Othmani, un adolescent tunisien de 17 ans, a partagé son histoire avec nous. Depuis la première année primaire il réussissait à l’école et obtenait de bonnes moyennes (entre 16 et 18 sur 20). Rayen a réussi son examen de sixième avec 15 sur 20 de moyenne, mais a abandonné l’école en 7ème année de base!
C’est le cas de 55% de décrocheurs. Car le passage au collège, selon Latifa Tejouri, représente une nouvelle vie pour l’élève. Une vie qui se caractérise par la croissance physique et psychologique avec un changement du milieu scolaire.Ce qui représente une lourde charge pour l’adolescent en l’absence de l’accompagnement psychologique et social, surtout en milieu scolaire.
Au collège, Rayen a rencontré de nouveaux amis, et ont pris l’habitude de sécher les cours ensemble. Plus, il a appris à fumer avec eux et se sentait libre. Cependant il était étouffé par les conditions internes du collège. En fait, il avait des problèmes avec les surveillants qui agaçaient les élèves avec leurs interdictions « pourquoi tu utilises le téléphone ? Pourquoi tu mets des boucles d’oreilles ? Dernièrement l’administration a obligé tous les garçons à se raser totalement les cheveux. Et parfois il y a des professeurs qui nous ordonnent de recopier de longs cours du tableau sans nous les faire comprendre ». a protesté l’adolescent.
Ils veulent s’enfuir d’un monde « monotone »
Dans une petite déclaration, Rayen a donné d’autres raisons. D’abord, l’influence des amis. La présence d’un pair est toujours présente dans la vie de l’individu et elle est nécessaire. Mais, le problème qui a alerté la sociologue, est que cela est devenu l’institution fondamentale et la seule référence d’où l’enfant puise ses valeurs. Tejouri a expliqué que l’adolescent cherche toujours la reconnaissance, un modèle à suivre et il a besoin d’un groupe auquel il appartient. Et puisque la nature a horreur du vide, l’enfant compense l’absence de la famille et de l’école par ses pairs.
De plus, Latifa Tejouri met l’accent sur la relation entre l’élève et l’enseignant aujourd’hui qui ne dépasse pas la formation et la note données. Alors que l’enseignant représentait le sauveur quand l’élève a des problèmes.
A cet âge (12-15 ans), les élèves sont très forts dans le domaine digital, ils peuvent donc obtenir leur cours d’un seul clic et se passer de la méthode de l’enseignant. Aussi est-il nécessaire que l’enseignant mette à jour ses outils de travail et construise une relation amicale avec les élèves. Sauf que le système pédagogique ne permet pas de le faire. L’enseignant est sous la contrainte d’un programme qu’il doit terminer.
Par ailleurs, le régime scolaire oblige l’élève à être présent, sans lui offrir des activités attractives telles des compétitions artistiques, sportives, environnementales,… L’adolescent étant plein d’énergie.Il veut se découvrir, débattre, s’exposer et refuse toutes les manifestations autoritaires.
Rayen a avoué qu’il s’était ennuyé à et de l’école et a fini par conclure qu’elle ne menait nulle part puisque tous les diplômés de son entourage sont des chômeurs. Les études ne sont plus le garant du progrès social, a déclaré Tejouri. C’est pourquoi la valeur de l’éducation est détruite pour les adolescents. Elle affirme que les medias sont aussi responsables de cette dégradation parce qu’ils se concentrent sur les histoires d’échec plus que les « succes stories ».
« J’ai abandonné l’école et alors ? »
Rayen Othmani poursuit, « je ne pouvais plus dormir à force de penser à mon devenir. L’avenir m’était inconnu et flou. Je culpabilisais et me demandais ce que je ferai demain ? Pourquoi ma vie es Et si je sors dans la rue sans but, je vais être entraîné dans un monde sombre marqué par l’addiction, la violence, et toute quante ». Rayen a vécu une dépression de manque de productivité, selon l’explication de la sociologue Tejouri. Elle a alerté sur le fait que le phénomène de l’interruption peut entraîner d’autres phénomènes graves tels l’addiction aux drogues, le vol, les braquages et la violence sous toutes ses formes. L’adolescent peut adopter des comportements dangereux pour attirer l’attention des autres et obtenir une reconnaissance.
« 2ème chance » ce dont avait besoin Rayen
Après l’abandon de l’école, Rayen a travaillé comme serveur dans un café. Il a été obligé d’arrêter suite au décès de sa grand-mère. Cette fois-ci, Rayen a décidé de ne rester plus à la maison et de changer d’entourage. Il a rencontré de la bonne compagnie. Avec ses nouveaux camarades, il a appris la photographie et le montage. Ils ont réalisé des courts métrages. Il s’est retrouvé dans ce loisir et y passait beaucoup de temps. Par hasard, sa mère découvre l’école de la « 2ème chance » à Bab El Khadhra, elle propose à son fils de s’y inscrire et il accepte.
De quoi s’agit-il ?
La directrice de l’école « 2ème chance » de Bab Al Khadhra, Naima Seblaoui a présenté ce projet à Réalités Online. Le projet a été lancé fin 2018 dans le cadre d’une collaboration entre le ministère de l’Education, celui des Affaires Sociales et celui de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. Il est financé par l’UNICEF et l’ambassade britannique en Tunisie.
La première école qui a été ouverte dans le cadre de ce projet est celle de Bab Al-Khadhra, qui a démarré le 6 avril 2021, avec pour principal objectif d’encadrer et de réhabiliter les décrocheurs scolaires entre 12 et 18 ans, quelles que soient les années d’interruption. Ainsi, ce projet oriente les bénéficiaires vers trois voies : reprendre les études, suivre une formation professionnelle, ou intégrer le marché du travail dans le cas où le bénéficiaire est qualifié dans un métier.
Seblaoui a affirmé que l’inscription pour cette année a été ouverte le 10 février dernier. Jusqu’à présent, on a enregistré plus de 200 inscrits. Les inscriptions seron bouclées lorsque l’école atteindra sa pleine capacité d’accueil, soit 1000 bénéficiaires.
Comment cela se passe à école ?
Naima Seblaoui explique que la formation à l’école « 2ème chance » se réalise sur deux axes, le premier est «MAÄK » (avec toi) et le deuxième « INTALEQ » (fonce).
La formation est basée sur le développement personnel du bénéficiaire. Elle est procurée sur deux volets : des cours simplifiés de Français, d’Anglais, d’arabe, de maths, de technique et d’informatique. Mais aussi des cours pratiques interactifs. « Nous nous concentrons sur l’aspect psychologique et social. Nous affinons le goût à travers des activités à l’intérieur ou à l’extérieur en collaboration avec des associations artistiques, sociales ou environnementales. Nous avons organisé une rencontre entre les bénéficiaires et des artistes afin qu’ils découvrent des métiers artistiques auxquels ils peuvent aspirer ainsi que des activités de sensibilisation de la sécurité routière et de sensibilisation sexuelle pour les bénéficiaires et leurs parents. De plus ils ont fondé le club de l’égalité « Elles » contre la discrimination de genre et ont vécu l’expérience électorale pour déterminer les membres du Bureau Exécutif ». a déclaré Seblaoui.
Le processus commence par une première série d’entretiens pour mieux connaître l’enfant, son statut social et son niveau afin de constituer un dossier. Des entretiens approfondis suivront entre l’enfant et des psychologues ou des sociologues ou même des spécialistes de l’éducation ou de la formation professionnelle. À la lumière de ces entretiens, on décide ensemble de la destination du bénéficiaire.
Le suivi après « 2ème chance »
Les bénéficiaires qui sont intégrés et orientés sont suivis pendant un an, selon Naima Seblaoui. Si on constate un problème, on essaie de trouver une solution alternative ou on reforme l’élève dès le départ.
« Il y a une bénéficiaire qui est allée à un centre de formation spécifique, mais elle a rencontré quelques difficultés, notamment l’éloignement de son lieu de résidence. Nous avons donc trouvé une solution en la déplaçant vers un autre centre de formation dans lequel elle se sent à l’aise et à proximité de sa maison, pour qu’elle ne décroche pas une autre fois ».
Rayen, plein d’espoir, a affirmé « Je n’ai pas regretté d’avoir quitté l’école, j’ai choisi de faire la cuisine et je me vois heureux dans quelques années. La formation est de deux ans, puis j’obtiendrai un certificat avec lequel je pourrais partir à l’étranger. L’Arabie Saoudite, par exemple, demande des cuisiniers. Même si je n’émigrerai pas, je pourrais obtenir un emploi stable en Tunisie ».
Histoire de réussite :
« 2ème chance » est un projet important. C’est bien d’avoir des histoires de réussites, mais, statistiquement parlant, ce n’est pas suffisant selon la sociologue Latifa Tejouri qui a remarqué que le projet manque de médiatisation parce qu’il y a beaucoup de parents qui cherchent une solution à leurs enfants mais ils n’ont aucune idée sur cette école. Elle propose de rendre cette formation obligatoire.
Khaoula Riahi (Stagiaire)