Ils sont des dizaines, voire des centaines de milliers d’enfants, selon certains, à n’avoir pas connu leur première rentrée scolaire ou à ne pas avoir encore rejoint les bancs de l’école. On évitera de donner des chiffres parce qu’il n’y en a pas. Le ministère donne ce qu’il définit comme chiffres officiels que le syndicat dément et vice-versa. Des milliers d’enseignants suppléants sont en grève depuis le 15 septembre dernier, jour de rentrée scolaire, et promettent l’escalade si leurs revendications ne sont pas entièrement satisfaites. Nous ne nous attarderons pas sur les détails, le droit de grève étant reconnu et le devoir de l’Etat d’examiner les revendications sociales non négociable. Ce qui mérite toutefois d’être débattu, c’est la durée maximale tolérable d’une grève dans un secteur stratégique comme celui de l’éducation, sachant que toute grève entraîne des dommages collatéraux préjudiciables, mais pas pour l’entité cible, ici le ministère de l’Education.
Les véritables victimes du refus des enseignants suppléants de rejoindre leurs postes après un mois et demi de débrayage jusqu’à la satisfaction de toutes leurs revendications, ce sont les écoliers et leurs parents. Les premiers sont privés de leur droit aux connaissances et au savoir et ressentent de la frustration par rapport aux autres enfants qui ont la chance d’avoir un instituteur non gréviste ou ceux qui fréquentent les établissements éducatifs privés. Les parents, quant à eux, leur frustration et leur colère n’ont d’égal que leur sentiment d’impuissance face à un tort que leurs enfants sont astreints à payer sans en être responsables. Beaucoup de parents se sont résignés à les placer dans des écoles privées au prix de grands sacrifices. D’autres se sont pris plus tôt, dès l’été. Cette année et face à la demande croissante en enseignement privé, le nombre des établissements a considérablement augmenté et les classes sont désormais plus remplies. La raison évoquée par les parents : le trop-plein de grèves dans les écoles, collèges et lycées publics. Ce qui fait dire au Secrétaire général adjoint de la Fédération générale de l’enseignement de base, que ce recours en masse à l’enseignement privé altèrera la qualité des établissements et de l’enseignement prodigué.
Il n’est nullement question de faire le procès des suppléants grévistes, la moitié ont d’ailleurs déjà rejoint leur poste, tant leur situation professionnelle et sociale précaire mérite que l’on s’y penche sérieusement, comme c’est le cas dans le secteur de la santé. Mais il est question de poser le problème de la responsabilité de chaque partie dans les dommages collatéraux qui peuvent découler d’un bras de fer trop long.
Il est des secteurs stratégiques qui ne supportent pas la vacance, celui de l’éducation, de la santé, du transport public, de la sécurité intérieure, de la défense et on en oublie d’autres. Le droit de grève est constitutionnel mais la Constitution s’est tue sur les dégâts qui peuvent être provoqués par des débrayages trop longs et sur les mécanismes à même d’y remédier en attendant la résolution des problèmes. La démocratie, c’est aussi cela: respecter les droits de chacun. Les suppléants, dans le cas échéant, sont victimes du système et les élèves sans école victimes de leurs enseignants. La Constitution doit pouvoir mettre des garde-fous pour éviter le pire. Et le pire, la Tunisie l’a vécu ces dix dernières années. L’exemple le plus douloureux est l’arrêt de l’exploitation des réserves du phosphate durant pas moins de dix ans. Un crime contre la nation, contre tout un peuple. La Tunisie a perdu tous ses marchés étrangers, une manne en devises étrangères et sa place de 5e exportateur mondial. Insensé ! Les grèves abusives et sauvages ou celles qui durent trop longtemps, la Tunisie en a vu également à la faveur du vent de liberté qui a soufflé sur le pays depuis 2011. Des entreprises étrangères ont plié bagage et des PME locales ont mis la clé sous le paillasson. Ce sont des vérités amères qu’on ne peut plus taire ou dire à demi-mot parce que la Tunisie en a payé la facture et les générations futures en porteront les traces. Il est inadmissible pour quelque raison que ce soit qu’un groupe de personnes prenne en otage tout un pays. C’est une question qui mérite réflexion et débat, le droit de grève doit répondre à des normes qui respectent les droits humains et les droits collectifs.
Tous les secteurs ont des revendications légitimes, sauf que la situation financière du pays, qui n’est un secret pour personne, est incapable de les satisfaire en même temps ou dans un délai court. La grande majorité des Tunisiens va mal, a du mal à boucler les fins de mois, à survivre. Sinon, quoi ? Posez la question aux « harragas » ou aux restes des cadavres repêchés au large des eaux tunisiennes.
La situation du pays est certes difficile, mais son véritable problème, ce sont ses dirigeants politiques de l’après-14 janvier 2011. Quand ils ne sont pas en train de saborder les institutions de l’Etat et de saper son économie, ils sont en guerre contre leurs adversaires politiques. Leurs discours prônent la violence et le désespoir dans l’espoir d’allumer la mèche de l’insurrection.
Kaïs Saïed ne déroge pas à la règle. Obnubilé par un prétendu complot ourdi de l’intérieur et de l’extérieur, il s’enferme, s’isole et en arrive à faire rater aux Tunisiens une occasion en or de s’émanciper réellement politiquement et économiquement, sans « l’aide » des avatars islamistes et leurs agendas douteux.
La Tunisie est confrontée à l’une des plus graves crises économiques et financières de son histoire. Cette crise est amplifiée par celle politique que le locataire de Carthage ne cesse d’alimenter en écartant tout le monde de son projet et en continuant à faire la sourde oreille. Par ailleurs, ceux qui s’érigent en leaders du pays ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez.
A se demander pourquoi nous allons voter.
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