L’économie tunisienne est-elle au bord du gouffre ? Plusieurs indicateurs préfigurent ce scénario. En effet, la situation économique est compliquée mais surtout difficile à gérer politiquement. Les indicateurs économiques sont en train de virer au rouge et le risque d’effondrement du système économique et social n’est pas écarté. Le malheur est que ni l’élite politique, ni même le gouvernement, ne semblent se soucier de la gravité de la situation.
Ace niveau, il ne suffit pas de décrire la gravité de la situation, mais plutôt d’arrêter un plan d’urgence économique, communiquer au public la démarche et convaincre la population que les efforts ne seront pas vains mais surtout, qu’ils seront équitablement partagés. Un rééquilibrage de l’économie tunisienne est donc plus que légitime mais nécessaire et urgent. Paradoxalement, le rééquilibrage fait peur car quand on pratique, depuis tant d’années, la fuite en avant, il est difficile de s’arrêter. Il sera nécessairement douloureux et quels que soient ses facteurs déclenchant et la réaction de l’économie aux chocs, cette période sera économiquement et socialement coûteuse.
Aujourd’hui, il est urgent de combattre la sinistrose et les injustices, facteurs auto-alimentés. Ce combat nécessite de distinguer les enjeux de court terme de ceux de long terme. A court terme, la population doit sentir le changement dans son quotidien. A moyen et long termes, nous devons chercher les conditions pour une croissance plus forte et durable. Les moteurs de l’économie doivent, pour cela, tourner à plein régime et les freins être quelque peu desserrés. Aujourd’hui, la BCT n’a quasiment pas de marge de manœuvre, à part tenter de faire passer les taux d’intérêt en territoire positif et limiter un tant soit peu la dépréciation du dinar. Du côté budgétaire, il n’y a plus de référentiel dans la mesure où la préparation du budget ne fait référence à aucun cadre économique et l’affaire se réduit à une simple gestion comptable des ressources et des emplois. En tout état de cause, il faut chercher à débloquer l’offre. En effet, les nouvelles aspirations nées d’une révolution s’accompagnent toujours de nouveaux rêves et de nouvelles ambitions. Il s’agit de valoriser cette nouvelle force créatrice chez les jeunes et, à cet effet, mettre à la disposition des jeunes (diplômés du supérieur et autres) tous les moyens financiers et administratifs destinés à réaliser ces ambitions tout en offrant un réseau de pépinières d’idées de projets. Il faut changer complètement notre mode de réflexion et passer d’une logique de contrôle à une logique de service.
Libérer le potentiel des jeunes
De même, il y a lieu de réviser notre arsenal juridique et réglementaire. Chaque nouvelle idée doit correspondre à un nouveau business et non pas à une nouvelle réglementation. Et s’il y a lieu de combattre la corruption, il faut d’abord s’attaquer à la corruption légalisée. Il y a urgence à mettre fin à la logique des autorisations pour libérer le potentiel des jeunes Tunisiens.
En définitive, la croissance économique et la création d’emplois sont essentielles pour améliorer aujourd’hui les conditions de vie des populations et pour garantir un avenir meilleur pour les générations futures. Les réformes nécessaires à cette fin ne sont pas simples et le changement ne se produira pas du jour au lendemain. Mais la jeunesse tunisienne attend toujours des actions qui permettent de changer son quotidien.
Faut-il pour autant déclarer forfait ? Certainement pas. Il y a des moments dans l’histoire où des défis globaux appellent des réponses courageuses. Et comme le souligne Lawrence Summers, l’ex-conseiller économique de Barak Obama, « on ne sort jamais d’une crise économique profonde sans rupture radicale avec les méthodes du passé ». Pour sortir de cette crise, il faut plus d’audace et plus de courage pour pouvoir aller plus loin, plus vite et plus fort. Il faut un renversement radical des priorités économiques dans le pays plutôt que de se replier en attendant la fin des mauvais jours.
Dégripper la machine de la production
Les faits sont là et des actions doivent bien sûr être entreprises, mais ce ne sera probablement pas aussi facile. En effet, et en plus des difficultés liées au budget de l’Etat, il faut dégripper la machine de la production. La première urgence est de limiter l’hémorragie du déficit public pour stabiliser la dette publique. Cela nécessite un effort de recouvrement important et ce, à travers des actions de digitalisation et de numérisation de l’administration fiscale.
La leçon pour les décideurs est claire : au lieu de chercher à constamment stimuler les dépenses et potentiellement créer des problèmes pour le futur, une manière plus réaliste de soutenir la croissance serait d’encourager la création de valeur ajoutée, celle-ci étant l’une des mesures du PIB.
Cependant, et pour réussir une politique d’offre, il faut lutter contre les lobbies, les rentes et les réactions dont ils sont en partie à l’origine, à savoir les grèves et autres blocages. Et il faut trouver les solutions aux deux. Les chocs d’offre négatifs sont les plus complexes à gérer. Ils sont en effet inflationnistes et affectent l’activité : soit on lutte contre l’inflation avec le risque de dégradation de la croissance avec toutes les conséquences sociales, soit on lutte contre la faible activité avec des risques inflationnistes et les conséquences sociales qui s’ensuivent.
Et si le choc d’offre, au départ temporaire, devient permanent comme c’est le cas aujourd’hui, la situation devient stagflationniste et il devient dans ce cas extrêmement difficile dans un contexte social très tendu de mener des politiques néo-libérales.
La condition de succès exige un gouvernement intraitable avec les lobbies et les rentes, faute de ne pouvoir sortir du cercle vicieux de la baisse de la production et du choc d’offre négatif permanent.
Manifestement, il faut éviter de commettre l’erreur de traiter un choc d’offre négatif comme un choc de demande mais cela est extrêmement difficile quand la pression populaire grandit. En traitant un choc d’offre temporaire négatif comme un choc de demande, on le transforme en choc d’offre permanent et on ne peut en sortir que par une politique libérale qui fera baisser la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée au profit du capital. Et cela ne peut passer sans accords au préalable entre syndicats et patronats comme cela a été le cas à la sortie de la deuxième guerre mondiale. S’il doit y avoir un dirigisme étatique, qu’il soit autant concentré sur les solutions gagnantes que l’histoire et l’économie nous ont enseignées.
Mohamed Ben Naceur