Économie et démocratie : de la légitimité du consensus économique et social

                                  

         

Par Nouri Zorgati

La question économique est au centre des préoccupations de tous les citoyens. Elle ne peut laisser personne indifférent. Avec ses multiples aspects, l’activité économique est l’activité humaine et sociale qui concourt à la satisfaction des besoins de chacun. Elle représente à ce titre l’intérêt majeur de la vie de tous les jours de tout citoyen qu’il soit à la recherche d’un emploi pour s’assurer un revenu, d’un toit pour se loger ou tout simplement faisant ses courses, coincé entre son pouvoir d’achat et le niveau des prix.

 

La légitimité électorale ne justifie pas le pouvoir solitaire

Cependant la question économique est loin de constituer la première préoccupation des détenteurs du pouvoir. Ceux-ci sont le plus souvent absorbés par des considérations d’ordre dogmatique ou idéologique qui ne sont en fait que des prétextes pour accaparer et monopoliser le pouvoir. C’est ainsi que la religion qui est pourtant une question personnelle de conscience et de foi,   faite de tolérance et de respect du prochain, a été politiquement instrumentalisée tout au long de l’histoire pour imposer la pensée unique et dominer les peuples. De même les idéologies totalitaires tels que le libéralisme, le communisme ou le dirigisme économique, ont servi à l’instauration de la dictature au profit d’une minorité agissante au détriment de la majorité de la population. Ainsi le libéralisme qui prône la liberté absolue donc la loi du plus fort, permet à la minorité des détenteurs du capital d’asseoir leur ascendant sur l’économie pour s’enrichir de plus en plus et appauvrir de plus en plus le reste de la population.

Contrairement à la dictature et à l’anarchie, seule la démocratie assure le respect des droits et des devoirs de chacun. Des autorités qui sont dans l’incapacité de traiter le chômage, de sauvegarder le pouvoir d’achat des citoyens, d’assurer leur sécurité et de préserver leur dignité, ne peuvent prétendre à la légitimité et doivent se soumettre à la règle de l’alternance face à la désapprobation et la résistance des citoyens. Les élections n’ont pas pour but de donner carte blanche aux élus qui ont l’obligation de servir les électeurs et d’exécuter leur volonté. La légitimité électorale ne peut s’exonérer de la légitimité consensuelle qui est la base de la démocratie participative car elle associe les différentes parties prenantes de la société à la prise de décision et permet d’éviter l’exaspération et l’explosion de la violence.

 

Le coût élevé de l’absence de consensus économique et social

Depuis plus de trois ans, le Conseil économique et social est gelé. Pour la troisième année consécutive, le Budget de l’État est préparé en catimini et décidé sans concertation avec les partenaires économiques et sociaux, ni au niveau national et encore moins au niveau régional. Il est établi sans l’élaboration et la discussion d’un Budget économique annuel qui est le cadre de cohérence de l’équilibre économique et social de l’année en cours et des prévisions pour l’année suivante.

L’abandon de ce cadre  pourtant indispensable aux opérateurs de l’activité économique et sociale, constitue une rupture grave avec un acquis de plusieurs décennies.

Pourtant une concertation avec les partenaires économiques et sociaux sur le projet de Budget de l’État pour l’année 2014, aurait permis d’éviter bien des déboires. En effet, les différents partenaires n’auraient pas manqué d’attirer l’attention des autorités sur l’inacceptable surtaxation des véhicules utilitaires, outils de travail des agriculteurs, des commerçants, des transporteurs et de toute activité en général, alors que l’économie traverse une période difficile qui dure depuis plusieurs années. Les dégâts provoqués dans tout le pays par les mouvements de protestation contre ces mesures, sont de loin supérieurs au rendement escompté, sans parler de l’effet négatif sur l’autorité de l’État de la décision, du reste salutaire, d’annulation de ces mesures. Il reste à espérer que la préparation du Budget de l’État complémentaire pour l’année 2014, se fera dans les règles de la concertation.

 

La grande désillusion après un immense espoir

L’aspiration des citoyens pour un mieux-être ne peut être satisfaite que dans le cadre d’une économie démocratique et solidaire. La Révolution de la dignité a créé un immense espoir auprès de l’ensemble de la population et particulièrement parmi les jeunes en chômage et vivant dans la précarité. Avec plus de 600.000 chômeurs, le taux de chômage est passé de 13% de la population active en 2010 à 16% malgré la reprise de l’émigration. Ce taux est de l’ordre  de 20% dans le nord-ouest, de 24% dans le centre-ouest et 26% dans le sud. Le chômage est donc aujourd’hui, la première urgence. Ce problème ne peut attendre le retour de la croissance. Il faut atteindre un taux de croissance d’au moins 6% par an rien que pour absorber la population active additionnelle qui déverse sur le marché du travail 70.000 demandeurs d’emploi nouveaux chaque année. Ce n’est ni en un an, ni en cinq ans, ni même en dix ans que l’économie pourra créer des emplois à la hauteur des besoins pour absorber le chômage actuel. La croissance ne peut pas être décrétée par l’État, par contre le traitement du chômage et de la précarité est l’affaire de l’État. Il est inacceptable et insupportable de laisser perdurer cette situation explosive. Le traitement du chômage passe nécessairement par la solidarité nationale. Les pays développés l’ont traité par l’instauration des allocations sociales et notamment l’assurance chômage. Or la création d’un système d’assurance chômage ne résout pas le problème des chômeurs actuels, il concerne les chômeurs futurs qui auront préalablement cotisé au régime d’assurance chômage.

Pour faire face au défi du chômage, il importe de lancer un programme d’actions pour préparer le retour de la croissance. Ce programme doit permettre de diffuser la croissance dans les régions par la promotion des petites, moyennes et micro entreprises, renforcer la formation professionnelle dans les régions défavorisées et entreprendre l’exécution des infrastructures les moins capitalistiques et immédiatement rentables telles que les pistes rurales, les lacs collinaires, les liaisons routières de décloisonnement.

Cependant l’effet de ces mesures sur l’emploi n’étant significatif qu’à moyen et long termes, il importe parallèlement de mettre en œuvre à titre transitoire, des travaux d’utilité publique. Il s’agit principalement de travaux de protection de l’environnement, travaux dont la Tunisie a l’expérience et en a toujours fait usage dans les moments les plus difficiles pour, l’emploi. Ces travaux à la fois nécessaires et urgents concernent la lutte contre l’érosion et la désertification, ainsi que la conservation des eaux et des sols, le curage des oueds et la protection contre les inondations et autres catastrophes naturelles. Les programmes relatifs à ces actions sont disponibles dans les bureaux de l’administration. Ils concernent particulièrement les régions de l’ouest du pays, de l’extrême nord à l’extrême sud, donc des régions qui n’ont pas ou peu bénéficié des fruits de la croissance dans le passé et qui méritent donc aujourd’hui une attention particulière.

Les travaux à réaliser pour le compte des collectivités locales avec le financement de l’État, doivent être répartis par lots et attribués par voie d’adjudication aux entreprises et non en régie afin d’éviter toute confusion avec des emplois publics. A ces travaux  peuvent s’ajouter les campagnes de propreté et de lutte contre l’insalubrité grandissante des villes et des campagnes et pourquoi pas la surveillance des institutions et bâtiments publics pour assurer leur protection. La création de 125.000 à 150.000 emplois transitoires coûteraient 0,5 milliard de dinars par  an. Comparé au Budget de l’État de plus de 28 milliards de dinars, le coût du programme est loin d’être insupportable même si cela doit nécessiter une certaine révision des priorités budgétaires, une contribution nationale particulière et des financements extérieurs appropriés. Les emplois transitoires seront réduits au fur et à mesure de la création des emplois stables par l’économie, pour être maintenus à un niveau minimum nécessaire à la protection de l’environnement.

 

Le désoeuvrement et la précarité sont les sources de tous les maux

Les centaines de milliers de jeunes sans emploi, exclus, déçus, ulcérés, livrés à eux-mêmes et aux recruteurs de tout bord au service des mauvaises causes telles que le vol, les agressions, la drogue, le vandalisme, l’exode illégale et les actes terroristes, constituent une force de nuisance qui est en voie de déstabiliser et de saper les fondements de l’État. La décision d’occuper ces jeunes désœuvrés par des emplois transitoires est la seule mesure salutaire à effet immédiat, qui sauve le présent et ne compromet pas l’avenir. Elle correspond parfaitement aux responsabilités d’un gouvernement dont la durée de la mission se limite à quelques mois.

Le rêve de tout citoyen est d’accéder à une vie digne. Ce rêve ne peut se réaliser pour tous que dans le cadre d’un développement économique et social démocratique et solidaire. A cet effet, une remise en question des idées reçues et des dogmes préétablis est inéluctable. La bataille engagée pour exiger le respect des droits et des devoirs de chacun, malgré certains succès, est loin d’être gagnée. La victoire finale est cependant impérative sachant que sans démocratie, il ne peut y avoir de développement économique et social durable.

 ( À suivre)

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         nzorgati@gmail.com

 

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