Économie et démocratie : Les ravages de l’instabilité financière

 

Les crises ont jalonné l’histoire de l’économie. Deux crises ont été particulièrement violentes et dévastatrices par leur ampleur et leur propagation à l’ensemble des secteurs et des pays. Ces deux crises se sont déclenchées au sein des économies mondialement dominantes et, par un effet de domino, se sont propagées à l’ensemble de l’économie mondiale. Il s’agit tout d’abord de la grande dépression économique des années 30 avec son cortège de faillites, de chômage et de misère. Il s’agit ensuite de la  grande récession économique qui a ébranlé le monde en 2008 et qui continue à le secouer. Cette dernière crise est une tragédie que l’on croyait inconcevable au 21e siècle. Non pas que toute crise soit exclue, tant il y en a eu et il y en aura toujours, mais il était inconcevable que les impressionnants progrès technologiques, accumulés notamment dans le domaine de l’ingénierie financière, puissent être utilisés ou plus exactement que les autorités des pays avancés permettent qu’ils soient utilisés par une minorité agissante pour détruire la croissance, accaparer les richesses et mettre à bas l’économie mondiale.

Les crises, maladies de l’économie

L’activité économique est une activité humaine et sociale. À ce titre, elle est soumise à d’innombrables aléas d’ordre endogène et exogène. C’est donc une activité aléatoire et comme pour toute activité aléatoire, le risque zéro n’existe pas et les incidents de parcours ne sont pas toujours évitables. Ces incidents donnent lieu à des crises économiques plus ou moins prévisibles, plus ou moins graves, qui sont à l’origine des fluctuations économiques. Les crises sont donc les «maladies» de l’économie. Elles sont traitées à l’instar des maladies des êtres vivants, par la prévention, le diagnostic et la thérapeutique économique. La science économique, étant une science sociale, n’est pas une science exacte. Elle ne peut prétendre à éradiquer toutes les crises, tout comme il est illusoire de prétendre que les sciences médicales peuvent éradiquer toutes les maladies touchant les êtres vivants. Cependant, si les crises ne sont pas toujours évitables, il est insupportable que les autorités fassent preuve de laisser-faire et de laisser-aller, ne faisant rien pour y parer ou du moins pour éviter qu’elles ne soient meurtrières.

La mutation des crises économiques

Les crises économiques résultaient principalement de facteurs extérieurs indépendants de l’activité économique, tels que les aléas climatiques, les épidémies, les pénuries de matières premières ou le déclenchement de conflits. Avec le passage de la féodalité aux États-nations vers le 12e siècle, les crises financières font leur apparition. Il s’agit de crises des dettes souveraines résultant du surendettement des gouvernements à la suite des excès des dépenses publiques qui mettaient les États en situation de défaut de paiement. Les crises financières ont pris ensuite plusieurs formes. Les crises inflationnistes sont marquées par une forte augmentation des prix à la consommation. Les crises monétaires résultent d’une dépréciation importante du taux de change de la monnaie. Les crises bancaires proviennent de l’endettement élevé des particuliers et des entreprises, entraînant leur insolvabilité et la faillite des banques. 

Avec l’émergence du capitalisme au 17e siècle, une nouvelle forme de crise financière fait son apparition dans les pays avancés, il s’agit des crises de l’instabilité financière. Ces crises se caractérisent par la formation puis l’éclatement des bulles spéculatives, encouragée par l’accumulation du capital et le crédit facile et le comportement moutonnier des investisseurs financiers qui passent de l’exubérance irrationnelle, en achetant des actifs quelle que soit leur augmentation, à la panique excessive en vendant en détresse les actifs en leur possession à n’importe quel prix à la baisse. Ce comportement résulte du fait que l’offre et la demande des actifs n’obéissent pas nécessairement à la loi de l’offre et de la demande comme pour les biens de consommation. Pour ces derniers, lorsque le prix d’un produit augmente, la demande baisse. Le prix tend alors vers un prix d’équilibre entre l’offre et la demande. Inversement, lorsque le prix d’un produit baisse, la demande augmente. Le prix tend alors vers un prix d’équilibre de l’offre et de la demande. L’offre et la demande des produits courants sont  indépendantes l’une de l’autre. L’offre dépend de la capacité de production tandis que la demande est limitée par la saturation du consommateur. En revanche, il n’y a pas de saturation pour la demande d’actifs, car il n’y a pas de saturation pour le désir d’enrichissement. L’offre et la demande des actifs ne sont pas indépendantes, elles sont toutes les deux fonctions de l’anticipation de l’évolution de leurs prix. Plus les prix des actifs augmentent, plus la demande et l’offre de ces actifs augmentent dans le but de réaliser le maximum de plus-values. Cette spirale peut s’arrêter si l’acquisition des actifs est financée seulement par l’épargne. Mais elle est en général exacerbée par le crédit, surtout dans un contexte de crédit facile et bon marché. Et donc la demande d’actifs augmente. Cela se produit notamment dans l’immobilier, car l’immobilier constitue le principal patrimoine des ménages et il bénéficie en général de nombreux avantages financiers et fiscaux. Il représente un investissement recherché en raison de ses rendements assurés par les loyers.

L’augmentation de la demande d’actifs entraîne l’augmentation de leur valorisation, ce qui entraîne à nouveau l’augmentation de la demande d’actifs et à nouveau une augmentation de leurs prix sans atteindre un prix d’équilibre. Commence alors une phase de frénésie d’achats d’actifs et d’ascension de leurs prix, jusqu’à ce que les plus avertis se rendent compte qu’ils sont surexposés et se retirent du marché. Survient alors une phase de retournement des prix des actifs au cours de laquelle chacun essaye de se débarrasser des actifs en question. Ce qui entraîne une chute des prix et des transactions puis la récession, voire la dépression, suivant l’importance des secteurs affectés. S’engage ensuite une phase de panique et de désordre des comportements, suivie d’une phase de désendettement et de consolidation avant la phase de reprise de la croissance qui peut être plus ou moins lente. C’est précisément ce qui se passe devant le laisser-faire et le laisser-aller des autorités, qui répètent que cette fois c’est différent, alors que les prémisses sont quasiment les mêmes.

L’expansion coloniale à l’épreuve

De l’instabilité financière

Précédées par les grandes explorations des 14e et 15e siècles et favorisées par les avancées technologiques dans le transport maritime, les conquêtes coloniales européennes en Amérique, en Afrique et en Asie se sont étendues aux 19e et 20e siècles en quête de nouveaux marchés, de matières premières et de produits exotiques. Outre les dommages fortement condamnables subis par les populations victimes de ces invasions et notamment l’établissement dans les pays dominés  d’économies coloniales exclusivement orientées vers les intérêts des pays dominants, l’engouement pour la colonisation a été à l’origine de nombreuses crises économiques au détriment des populations moyennes et modestes des pays colonisateurs.

Ainsi en 1716, John Law, écossais réfugié en France, obtient l’autorisation par édit royal de créer la Banque Générale rachetée en 1718 par la couronne et rebaptisée Banque Royale avec cours légal  de la monnaie papier émise en contrepartie des dépôts. Les actions de la banque sont vendues contre des espèces en or et argent ainsi que par conversion des dettes royales libérant les finances royales en crise. La France est considérée alors comme le pays le plus riche et le plus puissant du monde. À titre de reconnaissance, John Law, à la tête de la Compagnie du Mississippi, obtient le monopole du commerce avec la colonie française de la Louisiane en Amérique du Nord. L’engouement suscité par la Louisiane a provoqué une spéculation effrénée sur les actions de la Compagnie du Mississippi, dont la valeur connut une ascension fulgurante soutenue par le financement de la Banque Royale, avant de s’écrouler en 1720 entraînant la faillite de la Compagnie et de la banque. Au même moment, une bulle éclate en Grande-Bretagne autour de la Compagnie des mers du Sud, créée en 1711 pour exercer le monopole du commerce avec les colonies espagnoles en Amérique, le Nouveau Monde. La Compagnie connut une ascension fulgurante avant de provoquer un krach en 1720.

L’économie à l’épreuve de l’instabilité financière

Le 19e siècle est jalonné par les crises de l’instabilité financière qui ont accompagné la montée en puissance du capitalisme financier. En 1825, un krach boursier éclate à la Bourse de Londres à la suite du crédit facile servi par la Banque d’Angleterre à des investissements spéculatifs sur les marchés d’Amérique latine nés de l’éclatement de l’empire espagnol. La crise  gagne l’Europe, provoquant le retrait des capitaux des pays d’Amérique latine dont la majorité s’est trouvée plongée dans des crises de dettes souveraines.

En 1847 la spéculation sur le développement du chemin de fer en France et en Angleterre, aggravée par une mauvaise conjoncture agricole dans les deux pays, conduit à un krach boursier. La montée du chômage a précipité la Révolution française de 1848. Au terme d’une longue période d’expansion aux États-Unis, des mouvements spéculatifs portant sur les actions des compagnies de chemin de fer détenues par des investisseurs d’Amérique, d’Europe et d’ailleurs, finissent par un krach à Wall Street en 1857. Le même scénario se reproduit en 1873 puis en 1893. La crise dépasse les États-Unis et s’étend à l’Europe et au-delà, touchant l’Empire ottoman et la Tunisie. À la suite d’une vague de spéculations aux États-Unis, la Bourse s’est effondrée en 1907, provoquant une panique générale. Sous l’égide du financier J.P. Morgan, un accord de financement des grands banquiers a permis de mettre fin à la crise. Cet accord a montré la nécessité de l’existence d’une Banque centrale pour jouer le rôle de préteur en dernier ressort et d’éviter l’effondrement du système financier. Cela a conduit à la création en 1907 de la Fed, la Banque Centrale des États-Unis.

 

Nouri Zorgati (À suivre ) 

nzorgati@gmail.com

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