Dans les annales des révolutions arabes initiées le 17 décembre 2010 et qui continuent jusqu’à nos jours à embraser de nombreux pays et régimes, se posent des problèmes de méthodes, ainsi que des modes d’approches et d’analyses. C’est une histoire somme toute brûlante qui touche des acteurs encore présents. Etablir une chronique ne serait-ce que provisoire pour les 28 jours de la Révolution tunisienne est un défis en soi, car et particulièrement pour la journée du 14 janvier, elle seule peut être l’objet de plusieurs livres ! Nous avons assisté après janvier 2011 à la publication de nombreux écrits ; ils s’inscrivent plus dans la mémoire que dans l’Histoire.
Et comme toute révolution a ses martyrs – à l’exemple de 1952-1954- la prudence est de mise afin d’établir une liste objective, la proximité de l’événement lui ôte une grande partie de son objectivité, car il est facile de basculer dans les erreurs d’appréciations et de jugements de valeurs. Il faut dire que la difficulté de fixer les faits, les acteurs, le contexte, les interactions aussi bien internes qu’externes sont autant d’obstacles inhérents à une écriture « froide » et du moins objective de ce « big bang» du XXIe siècle. Dans cet amalgame, il serait non moins impératif pour l’historien de s’engager dans cette écriture afin de témoigner de cette « histoire en mouvement » et qui sera dans le futur une source incontournable à la lumière de ce qui pourra se révéler de secrets ou de témoignages décisifs. Pour mémoire; Hérodote, Tabari, Ibn Khaldoun, Michelet, Marx, ne furent-ils pas des historiens de leurs époques respectives et leurs legs ne sont-ils toujours pas revisités pour comprendre leurs époques ?ans les annales des révolutions arabes initiées le 17 décembre 2010 et qui continuent jusqu’à nos jours à embraser de nombreux pays et régimes, se posent des problèmes de méthodes, ainsi que des modes d’approches et d’analyses. C’est une histoire somme toute brûlante qui touche des acteurs encore présents. Etablir une chronique ne serait-ce que provisoire pour les 28 jours de la Révolution tunisienne est un défis en soi, car et particulièrement pour la journée du 14 janvier, elle seule peut être l’objet de plusieurs livres ! Nous avons assisté après janvier 2011 à la publication de nombreux écrits ; ils s’inscrivent plus dans la mémoire que dans l’Histoire.
La Révolution tunisienne et les défis qu’elle relève dans le monde arabe
La Révolution tunisienne, pépinière de ce qui est communément appelé « le printemps arabe », sort des définitions classiques de concept de révolution. Car dans les analyses habituelles soit philosophiques, historiques ou sociologiques, toute révolution se définit par l’existence d’une idéologie ou d’un courant de pensée révolutionnaire préalable à l’action populaire, ce qui est quasiment une constante. Au niveau historique, l’apanage d’une révolution consiste en le fait des possibilités qu’incarne un mouvement populaire afin de pouvoir opérer concrètement une transformation radicale et structurelle des données politiques, sociales et économiques afin d’instaurer une nouvelle donne quasiment nouvelle. Or, et dans le cas tunisien, on assiste à l’émergence d’un bouleversement structurel au niveau de la hiérarchie politique sans pour autant qu’il y ait un guide, un leadership ou un courant d’idées qui avait initialement canalisé cette révolution. Toutefois, et au regard de ces changements opérés, on évoquerait un processus révolutionnaire certes, mais qui demeure pour le reste inaccompli, voire tronqué. La culture révolutionnaire viendrait ensuite se greffer sur l’acte fondateur qui est le bouleversement des structures existantes. Ainsi, tout processus révolutionnaire se mesure de par ses résultats et sa capacité à restructurer aussi bien la société que l’Etat en tant qu’entité nouvelle et répondant aux impératifs de la liberté et de la démocratie.
Toutefois, les révolutions arabes actuelles peuvent se figer et rester au simple stade de révoltes (mouvement spontané sans lendemain). Le cas égyptien, libyen, yéménite et syrien sont à cet égard révélateurs de ce blocage où une révolution populaire émerge certes mais ni la classe politique, ni la société civile, ni la junte militaire ne peuvent -quoiqu’on dise- être les promoteurs de ce véritable changement. Aussi, convient-il de signaler l’importance que revêt le degré d’analphabétisme, de civisme de chaque pays, de ses élites et des traditions de militantismes politiques acquises au fil des décennies pour chaque pays et parfois même de son histoire ancestrale afin de pouvoir analyser la réussite ou l’échec de sa transition vers la véritable démocratie. Pour éviter ainsi les déductions hâtives, on peut affirmer sans ambages qu’on assiste de nos jours à la phase embryonnaire de ces révolutions et tout jugement ou analyse demeurera temporaire en l’attente de l’accomplissement de ces révolutions.
Si les élections peuvent nous servir de baromètre, elles ne sont toutefois qu’une étape vers le changement et ne représentent pas une finalité en soi, car les dérapages sont toujours possibles et les velléités de résistance contre le changement sont notoirement perceptibles. Le véritable critère de la réussite ou de l’échec de ces révolutions se verra à travers l’apparition d’un nouvel ordre politique, économique et social qui fait rupture avec les anciens régimes dans tous les secteurs.
Transition « douce » et unique
La révolution se murit à travers les faits quotidiens, les expériences et les pratiques acquises dans le processus révolutionnaire. Le facteur temps est déterminant ; car la chute d’un régime est relativement facile, mais la construction d’un nouveau régime qui instaurera une véritable démocratie n’est pas chose aisée étant donné les obstacles aussi pratiques qu’idéologiques et mentaux qui s’érigent ; la force de l’inertie d’une grande partie de la société y est pour beaucoup. Aussi, le temps importe considérablement car une très grande partie de la population cherche à retrouver rapidement le rythme de tous les jours, lassée par l’incertitude qui plane. D’autant plus que la nouvelle expérience du citoyen acteur et efficace et non le citoyen objet et sa contribution dans la nouvelle dynamique lui est non seulement nouvelle mais lui exige de nombreuses dispositions à travers une certaine culture de la pratique politique qui lui font lourdement défaut compte tenu du refoulé exercé pendant longtemps. Il faut dire que jusqu’à un temps assez proche, le citoyen est relégué au rang de personne assistée, il n’est considéré qu’un fardeau économique et social. Sa participation formelle dans la vie politique nationale est toujours instrumentalisée par les instances politiques à des fins de propagande officielle. Procéder à refonder l’esprit citoyen nécessiterait une transformation radicale des programmes scolaires et la libération des médias de toute manipulation propagandiste. Le deuxième obstacle et non des moindres, consiste en les forces antirévolutionnaires (représentées par les profiteurs de l’ancien système) et dont les changements survenus ont ébranlé leurs assises et ayant peur surtout des comptes à rendre car complices d’un régime dictatorial et corrompu.
Enfin, un troisième obstacle qui va nécessiter du temps à décortiquer serait sans doute l’apprentissage d’une nouvelle culture participative et tout le travail de fond qui va s’opérer et qui devrait se faire sur les mentalités et qui sera la conjugaison de nombreux éléments à la fois culturels, économiques, politiques et sociaux. A mon humble avis pour mesurer la révolution soit tunisienne, égyptienne, libyenne, yéménite ou syrienne, il faudrait dans quelques années mesurer les changements que ce bouleversement effectué d’en bas de la pyramide aura à opérer dans la vie quotidienne des gens au niveau de l’expression, de l’intégrité de la justice et le rôle moteur de la société civile à travers les partis et les associations et surtout la participation citoyenne.
Les obstacles et les ouvertures possibles
La révolution médiatique (chaînes télévisées satellitaires), des multimédias ainsi que la téléphonie mobile, ont joué et jouent encore un rôle déterminant dans l’information alors que les régimes croyaient pouvoir détenir la source de l’information. Avec les moyens de communications, de nouveaux modes d’expression ont apparu avec ces révolutions surtout celle ayant trait à l’image ce qui rend moins nécessaire le recours à l’écriture. Aussi, ces expressions et ces usages se sont popularisés, plus besoin d’être dôté de diplômes pour faire circuler l’information ou s’exprimer, la chanson de rue (le rap par exemple) mobilise plus qu’un discours politique enflammé. La dite « révolution face book » écarte l’historien de ses sentiers battus et lui pose de nombreux problèmes. D’abord la profusion des sources : images, photos, séquences vidéos, messages, pancartes, écriteaux, manifestations au même temps que les médias officiels continuent à exercer la censure : à quelle source se fier pour comprendre l’enchaînement des faits ? Mais bien avant, se pose à l’historien ou au chroniqueur le problème de méthode et d’approche : est-il suffisamment formé sur ces sources alors qu’il était prisonnier de sa formation universitaire qui ne l’a initié à travailler que sur les sources écrites et n’ayant recours que superficiellement aux sources iconographiques ? Aussi, quel crédit accorder à une source par rapport à une autre ? D’autre part, les témoins qui sont eux-mêmes des acteurs doit-on et peut-on prendre au sérieux leurs témoignages alors qu’on sait bien les limites de l’histoire orale et ses lacunes flagrantes et contradictoires ?
Ces questions pertinentes, du reste, nous les avons bien posées lors du dernier numéro de Réalités concernant le travail de l’Instance Vérité et Dignité. Comme nous le voyons bien ce n’est pas un travail d’amateurs à qui revient de relire et en quelque sorte de réécrire notre histoire.
Une histoire brûlante, une pléthore de sources laisse parfois l’historien perplexe quant à l’écriture de l’histoire de son temps. Mais le plus urgent reste au niveau institutionnel et même à l’échelle individuelle est d’ « archiver », de stocker ces informations et ces sources pour le temps convenu. Il est certainement laborieux pour une écriture sereine et moins passionnée de recourir aux croisements et aux témoignages surtout de terrain afin de comprendre les faits dans leur complexité. Ajoutons aussi que les révolutions arabes posent plus de problèmes aux Sciences de l’Homme qu’elle n’en résoud réellement. Sur le plan thématique, les révolutions arabes posent la séparation méthodologique entre les divers paliers du processus de déclenchement et d’acheminement des révolutions.
Enigmes à dépister
Parmi les nombreux questionnements, voire les problématiques qui s’imposent nous allons en citer quelques uns :
-Quelles sont les raisons profondes et immédiates de ces révolutions arabes ? Existe-t-il un trait commun qui les caractérisen ?
– Quel rôle des armées et des appareils sécuritaires dans ces révolutions ?
– Interférences et manipulations étrangères des révolutions arabes : l’idée de complot ; à quel point ce constat est-il vérifiable ?
– La nouvelle géopolitique régionale et méditerranéenne, le rôle de la Turquie, du Qatar et des pays occidentaux, le rôle des acteurs politiques et de la société civile qu’est-ce qui n’est pas dit là-dessus ?
– Le rôle des acteurs sociaux (UTICA, UGTT et autres.) et qui pousse à faire une approche « d’histoire à rebrousse-poile » (de présent vers le passé parfois loitain, certainement plus éclairante;
– A qui a profité la Révolution du 14 janvier 2011 ?
– Pouvoir, politique et finance et les tentatives de récupération des révolutions
– La justice transitionnelle, justice pour les martyrs et les victimes de la dictature : mode d’emploi et les manipulations dont elle fait l’objet.
Ce ne sont ici que quelques jalons qui peuvent, bien entendu, être enrichis par d’autres questionnements certainement pertinents et qui appellent à creuser en profondeur et redonner à l’histoire toute sa valeur et sa pertinence ainsi qu’aux autres sciences de l’Homme.
Les martyrs de la Révolution tunisienne
Depuis plus de trois années, la justice militaire peine toujours à instruire les martyrs de la Révolution tunisiene 17 décembre-14 janvier 2011. L’opinion se pose toujours des questions sur les fameux « snipers » est-ce un mythe ou une réalité ?. Jusqu’à ce jour point d’éclairage sur cette question centrale car aucune affaire instruite n’a dévoilé ce mystère. En dépit du fait que les martyrs (les véritables martyrs sortis pour réclamer la liberté et le départ de Ben Ali) ont donné de leur vie afin que nous, autres, puissions vivre aujourd’hui et respirer la liberté et la démocratie, rien n’est fait par la justice pour instruire la vérité.
Ce 14 janvier on célèbre, certes, la transition démocratique en Tunisie et le passage, malgré le terrorisme et l’insécurité, vers une ère de liberté et de démocratie, nous ne pouvons le faire sans avoir une profonde pensée à nos martyrs aussi bien de la police, de la Garde nationale et de l’armée nationale.
Hommage à tous ceux dont le sang a irrigué cette terre pour l’indépendance de la Tunisie, pour la liberté et pour la digfnité du tunisien.
Nous ne les citerons pas pour n’en oublier aucun.
Fayçal Chérif