Éditorial – La déraison du plus fort

 

Les adeptes de l’affrontement au sein du mouvement Ennahdha ont un lourd passé et un passif qui remontent au milieu des années quatre-vingts et le début des années quatre-vingt-dix. Ils sont faits d’aventurisme, de dogmatisme, d’aveuglement politique et de leur inévitable corollaire : la violence.

Au prétexte de lutter contre la politique d’oppression et d’« assèchement des sources » pratiquée par les gouvernants de l’époque, ces téméraires, convaincus qu’il fallait répondre à la violence par la violence, avaient choisi, selon leurs propres termes, de « mélanger les cartes », et « libérer les initiatives » dans le cadre du fameux « plan exceptionnel » de combat contre le régime.

Ce plan exceptionnellement catastrophique a conduit l’ensemble du mouvement à en payer le prix fort. Pis encore, cette escalade contre le pouvoir lui a donné l’alibi rêvé d’engager le pays dans un autoritarisme implacable qui n’a épargné personne durant plus de vingt ans. Le peuple tunisien attend toujours les excuses de ceux qui l’ont conduit ainsi dans une si longue et cruelle impasse.

Aujourd’hui, cet amateurisme intraitable continue à sévir mettant le Premier ministre, M. Hamadi Jebali, dans une position intenable et l’ensemble de la Tunisie au seuil d’une crise politique et institutionnelle majeure.

Le communiqué du Conseil de la Choura du mouvement Ennahdha de samedi dernier en est la parfaite et surréaliste illustration.

Par son intransigeance face à la voix du compromis, incarné par le Premier ministre, et à l’encontre des légitimes revendications de ses partenaires concernant le remaniement ministériel, il confirme les velléités hégémoniques de ce mouvement incompatibles avec l’esprit de partage et de consensus, indispensables pour réussir, dans un minimum de concorde, le processus démocratique en cours.

Ne pas consentir à neutraliser les ministères de souveraineté, notamment celui de la Justice, c’est revendiquer et vouloir imposer un projet de mainmise sur les leviers névralgiques de l’Etat qui permettront sa capture déloyale et durable.

Son appel à «lever l'injustice infligée aux enfants du mouvement Ennahdha et de la Ligue de défense de la Révolution incarcérés à Tataouine» est plus inquiétant encore. Car, rappelons-le, les « enfants » en question sont poursuivis en justice pour meurtre. Celui, intervenu en octobre dernier, de Lotffi Nagdh, représentant de Nidaa Tounes dans cette ville.

Quant aux « Ligues nationales de protection de la Révolution », le communiqué conforte l’analyse de ceux qui les considèrent affidées à Ennahdha. Ce sont des milices qui agissent et se pensent au-dessus de la loi et représentent par leur existence même une menace à l’ordre républicain et un ferment de guerre civile larvée.

Les multiples agressions dont elles se sont rendues coupables le week-end dernier à l’encontre de leur ennemi juré, Nidaa Tounes et, plus largement, contre le Front populaire ou le Parti républicain, communique l’impression que nous sommes bel et bien en présence de prémices d’une violence qui risque de se généraliser contre tous les irréductibles parmi les adversaires politiques du parti dominant. Ceux qu’il n’a pas pu « domestiquer » par d’improbables alliances.

Ne nous lassons pas de le répéter, défendre les ligues, surtout de la part d’un parti au pouvoir porte atteinte aux fondements d’un Etat de droit et sape notre démocratie en gestation. Aussi, il légitime la loi de la jungle et la guerre de tous contre tous au détriment des institutions républicaines qui détiennent, seules, le monopole de l’usage légitime de la force pour défendre le vivre ensemble et l’intérêt public.

Aux dernières nouvelles, invérifiées et invérifiables dans le contexte de cacophonie fiévreuse que nous subissons, il semblerait que l’espoir de compromis conserve encore quelques chances de triompher contre le chaos. L’éthique de responsabilité des gouvernants, comme celle des opposants, se mesurera à l’aune de ce pari.

 

 

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