ÉDITORIAL. Le fond et la forme

 

En attendant la fin des cent premiers  jours pour pouvoir établir, ne serait-ce que sommairement,  un premier bilan de son action, le gouvernement Essid est en train de vivre une période tonitruante. Sur tous les  fronts,  politique, économique et social, la pression est extrême, les tensions insoutenables et le malaise très profond. Un mois de bouillonnement, de mécontentement, de colère et de contestations de plus en plus durs qui n’ont épargné presque aucune région, un secteur ou une catégorie sociale.

De la grave crise qui a éclaté dans les deux villes frontalières du sud, à Dhehiba et Ben Guerdane,  aux inondations qui ont sérieusement affecté la région du Nord-Ouest, aux grèves sectorielles sur fond de demandes d’augmentations salariales dans les  secteur de l’éducation et de la santé notamment, aux fortes demandes que continuent d’exprimer les régions intérieures, les jeunes diplômés et les catégories vulnérables, l’on est en droit de s’interroger sur la capacité du nouveau gouvernement à  stabiliser la situation et à présenter des solutions aussi convaincantes que réalisables ?

Même si le Gouverneur de la Banque centrale vient, encore une fois, de nous rappeler à la dure réalité en tirant la sonnette d’alarme sur les menaces qui risquent de mener l’économie tunisienne aux abysses, un sentiment d’insouciance semble perdurer.  Une situation qui reflète un paradoxe, qui fait que le Tunisien commence à s’accommoder avec ces situations d’instabilité et de difficultés.

Le plus inquiétant dans tout cela, c’est que  ce ne sont ni la multiplication des mouvements sociaux, ni la mollesse des réponses fournies par le gouvernement qui augurent d’une quelconque améliotation. Face à la gravité de la situation sociale, économique et sécuritaire (découverte d’un véritable arsenal d’armes dans le sud destiné aux terroristes), on ne décèle pas une véritable conscience collective chez les Tunisiens, mais plutôt une sorte de fuite en avant,  dont personne ne pourrait préjuger de son aboutissement final.

Au regard des évolutions accélérées  et imprévisibles  survenues dès les premiers jours de son entrée en fonction, le gouvernement  Essid, au lieu de donner le juste ton,  a fait un faux départ et recouru à des méthodes sur un air de déjà-vu.

A l’évidence, promettre ce qu’on ne peut pas objectivement réaliser, est une gageure. Les mesures décidées à la va-vite pour atténuer le vent de contestation, ont laissé planer un sentiment diffus,  de pratiques, autrefois testées, qui n’ont jamais prouvé leur efficience.

Il en est ainsi de l’exercice des visites inopinées que presque tous les membres du gouvernement Essid se sont plu  à jouer, afin de prouver qu’ils se mettent à l’ouvrage et qu’ils cherchent à faire bouger les choses. Si en termes de communication cet exercice peut trouver sa justification, du point de vue efficacité, la démarche est incertaine. Que ce soit en matière de services de santé, de circuits de distribution, de contrôle des prix, de logistique portuaire, de performance de la Poste, de la Douane, du transport urbain… le diagnostic est connu d’avance. Ce qui fait défaut, c’est la vision et les stratégies de réformes. Les visites effectuées n’ont fait que remuer le couteau dans la plaie en posant, à nouveau,  des questions lancinantes sans pour autant apporter des réponses convaincantes.

Les conseils ministériels organisés dans les régions et les mesures annoncées dans la foulée, ont également un air de déjà vu. Quel  pourrait être l’impact des mesures décidées à Tataouine ou Médenine sur le vécu des citoyens de ces régions ? Pas grand-chose. Face à une situation complexe, on se contente d’administrer des calmants. Les fonds débloqués pour la circonstance constituent une sorte de saupoudrage qui ne pourrait pas générer une dynamique porteuse de vrais espoirs de changement.

Mise à part la question  de la forme, sur le fond, est-il admissible de promettre ce qu’on ne peut pas satisfaire ?

Aujourd’hui, la Tunisie se trouve à la croisée des chemins. Même si elle est sortie du provisoire, elle présente encore de nombreuses sources de fragilité qui exposent son expérience atypique à des risques de retournement et d’échec. Seules la conscience des défis, la volonté d’agir et l’acceptation par les Tunisiens à consentir encore un effort, se présentent comme les voies pouvant offrir  une réelle  perspective pour sortir de cette mauvaise passe.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana