Éditorial: L’essentiel et le superflu

Savoir établir un ordre de priorités, avoir conscience de ce que nous voulons ou cherchons et de ce qui est possible de faire, implique assurément  une haute conscience, seule à même de permettre  de faire la distinction entre l’essentiel et le superflu, le possible et l’impossible.  En effet, « tout commence, comme le dit opportunément un penseur,  par la conscience et rien ne vaut que par elle ». Malheureusement, depuis plus de quatre ans, hommes politiques, activistes de la société civile, organisations nationales et citoyens ordinaires, ont perdu cette faculté d’être guidés par leur  conscience dans tout ce qu’ils entreprennent, dans l’action ou le combat qu’ils mènent pour la liberté, la démocratie, la justice, le développement …

Ils n’ont pas eu suffisamment d’intelligence ou de patience  pour repenser un nouveau modèle, instaurer une nouvelle gouvernance et de bonnes pratiques qui auraient pu faire la particularité de la Révolution tunisienne. Ils n’ont pas réussi, non plus, à donner du temps au temps pour  distinguer  entre tout ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, ce qui essentiel de ce qui est accessoire.

Résultat : nous vivons dans une sorte de confusion et on trouve du mal, beaucoup de mal, à établir un ordre cohérent de nos priorités et de nos exigences, de surcroit dans un contexte local et régional annonciateur de tous les périls et de toutes les incertitudes.

Il semble qu’on n’a pas encore retenu les leçons des actions terroristes successives qui ne cessent d’endeuiller  le pays. En lieu et place, on se laisse emporter par des polémiques stériles qui ne font que nous éloigner des buts recherchés et la multitude d’organisations syndicales qui représentent les différents corps des forces de sécurité se lancent dans des diatribes à la fois peu fécondes et contre nature. Même si la liste des victimes ne fait que s’allonger et celle des blessés également, le calcul politique des uns et l’incohérence des autres nous dévient des souffrances endurées et des actions urgentes à engager.

Aujourd’hui, gouvernement, organisations de la société civile et les Tunisiens dans leur ensemble,  sont appelés, plus que jamais, à remettre de l’ordre dans leurs action et idées. Le pays court de grands risques, politiques, économiques, sociaux et sécuritaires.  Ne pas prendre conscience de ce postulat reviendrait à le précipiter durablement dans l’anarchie, l’insécurité et la division.

Pour cela, le gouvernement fraichement formé,  doit comprendre qu’« on ne construit pas une société forte sur des choix mous ».

Cela implique qu’il donne des signaux forts qui peuvent refléter sa capacité et sa volonté de faire bouger les choses. Il doit agir selon une stratégie et une vision claire,  qui prendraient en considération les grandes priorités de l’heure. Pour cela, il est appelé à focaliser son action sur la lutte contre le terrorisme, à assurer la sécurité du pays, à mettre un terme à l’envolée des prix à concevoir des réformes pour stabiliser le cadre macroéconomique et à impulser l’activité économique.  Il doit, aussi, donner l’exemple en faisant preuve d’austérité et d’allocation judicieuse des ressources.

En revanche, il doit éviter le piège assassin du populisme et de l’improvisation,  en ne cédant pas à la pression quand elle n’est pas justifiée et en restaurant le prestige de l’Etat par le respect de la loi et des libertés.

Les organisations de la société civile- gardiennes de la Révolution réussissant, à chaque moment crucial du processus de transition, d’éviter que le bateau Tunisie ne coule –  sont appelées à un véritable sursaut citoyen. L’heure est à la construction d’un pays qui croule sous les difficultés et les menaces. Entretenir  la contestation est une voie glissante, destructrice même. Est-il possible d’inciter le secteur privé ou même l’Etat  à créer de l’emploi en bloquant constamment la production et en empêchant la libre circulation des biens et marchandises. Même si tout le monde admet que le pouvoir d’achat du Tunisien s’est gravement érodé ces derniers temps, quelle réponse pourrait apporter un gouvernement dont les caisses sont vides, les entreprises aux arrêts et la productivité en chute libre ? Depuis quatre ans, les gouvernements successifs ont choisi la solution d’endettement pour  servir et revaloriser les salaires, mais n’ont point réussi à créer de l’emploi, ni répondre aux attentes des régions défavorisées et longtemps exclues du développement.

Les Tunisiens qui ne cessent de crier, à tue-tête, que la sécurité, l’intégrité du territoire, la lutte contre le terrorisme et l’ouverture de perspectives devant les marginalisés et les laissés pour compte  sont au cœur du projet de société qu’ils ambitionnent, oublient que pour satisfaire ces exigences, il faut payer un prix.

S’ils ont déjà payé le prix fort, ils sont appelés à consentir un autre petit sacrifice pour donner un sens à tout ce qui a été fait et entrepris depuis le 14 janvier 2011 et pour ne pas tout perdre.

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