Les spécialistes définissent l’Etat de droit comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Pour qu’il existe, les lois doivent être publiques, personne ne peut y échapper, elles doivent s’appliquer réellement et la transgression de la loi doit entraîner des sanctions.
Depuis des lustres, le combat acharné mené en Tunisie par les militants des Droits de l’Homme, de la société civile et les hommes politiques, avait pour ambition de lutter contre l’arbitraire et de consacrer les fondements d’un Etat où préside la primauté de la loi et où nul ne peut se situer au-dessus de la loi.
Paradoxalement, la Révolution du 14 janvier 2011, dont le slogan emblématique a été la liberté et la dignité, n’a pas toujours conféré effectivité à ce concept resté, par la négligence des uns et l’insouciance des autres, par trop théorique.
Pourtant, en tant que démocratie naissante, la Tunisie a accompli, en un laps de temps court, des avancées réelles, non sans douleurs, ni complexité, en termes de mise en place d’institutions pérennes, de renforcement de la participation des citoyens à la vie publique, d’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques.
Le couac réside dans ces foyers de résistance qui persistent, conférant une fausse note à ce décor, qui est loin d’être idyllique. Par de faux calculs, caprice, une incohérence, un esprit de clan et de corporatisme, des intérêts parfois étriqués, des interprétations fantaisistes également, les principes de droit, autrefois réclamés à cor et à cri, sont bafoués, voire même tournés en dérision. Par ce qu’ils vont tout simplement en contresens de certains intérêts ou de positions acquises.
Comment expliquer cette contradiction flagrante entre un idéal constamment recherché, parce qu’il est consubstantiel à tout système démocratique et ce refus, parfois obstiné, manifesté pour se soumettre à la loi dans toute sa rigueur ? Peut-on espérer bâtir un ordre social qui se fonde sur la loi, si de nombreuses catégories usent de tous les moyens pour s’y soustraire ?
C’est un véritable paradoxe que nous vivons actuellement en Tunisie, où avocats, magistrats, universitaires, journalistes, artistes, experts en droit et même des citoyens ordinaires, défendent avec véhémence dans les plateaux télévisés, les journaux, les réunions publiques et politiques, ces principes sacro- saints, tout en faisant tout, dans leur pratique de tous les jours, pour y échapper, lorsque leurs intérêts se trouvent menacés !
Les batailles juridiques, sur fond de guerre de positions, qu’on a eu à vivre ces derniers temps entre avocats et magistrats, entre artistes et magistrats, journalistes et magistrats, hommes politiques, cadres de partis… cachent souvent des intérêts qui sont en contradiction flagrante avec la primauté de la loi, censée être la référence pour tous et le cadre garantissant les droits et devoirs des citoyens dans un système régi par le droit, rien que par le droit.
Les fissures qu’on est en train de percevoir, un peu partout, dans les organisations professionnelles où les dissensions se nourrissent par des interprétations contradictoires du droit, dans certains partis politiques où les conflits fratricides et les divisions sont attribués au non-respect du droit, où certains actes et jugements prononcés sont âprement dénoncés parce que, argue-t-on, sont contre le droit, n’augurent rien de bon. Peut-on réclamer la démocratie et le droit, sans accepter leur aspect contraignant ? Toute la question est là !
Le laxisme qui prévaut dans la vie publique, l’anarchie qui règne dans nos villes, où toutes les règles sont bafouées, la violence qui a tendance à prendre des proportions inquiétantes et l’esprit corporatiste qui est en train de gagner toutes les sphères, sont autant de signaux qui poussent au questionnement.
A l’évidence, Démocratie et Etat de droit ne sont en rien compatibles avec la prédominance de cet esprit négatif qui refuse la primauté du droit et l’acceptation d’un ordre social où tous les sujets scellent un pacte qui permet à tous de se soumettre aux règles dictées par l’intérêt général.