Egypte : le tourisme dans la ligne de mire du terrorisme

«Nous recommandons aux touristes de partir avant l’expiration de cet ultimatum». Voilà la manière dont le groupe djihadiste Ansar Beit Al-Maqdis a revendiqué de façon à peine camouflée l’attentat contre un bus de pélerins sud-coréens. Cette attaque marque un tournant dans les derniers événements au  Sinaï, haut lieu touristique égyptien. Depuis l’éviction de Mohamed Morsi, cette région connait un regain de violences auxquelles doivent faire face les forces de sécurité égyptiennes.

Le 16 février dernier, un engin explosif placé à l’avant d’un bus est déclenché par cellulaire. Le groupe de pèlerins revenait d’une excursion au monastère orthodoxe de Sainte-Catherine, et faisait une halte au poste frontalier de Taba avant de prendre la direction d’Israël. L’explosion fait une quinzaine de blessés et cause la mort de deux touristes sud coréens et de leur chauffeur égyptien.
 
Marquée par des conflits à répétition, la région du Sinaï, péninsule coincée entre le canal de Suez et la frontière israélo-palestinienne, est à nouveau en proie à des conflits depuis la destitution du Président Morsi, favorisant une déstabilisation de l’appareil sécuritaire. Précédemment, les attentats meurtriers de 2004, 2005 et 2006 contre des touristes, avaient poussé les autorités à réprimer violemment les population bédouines de la région, nourrissant une certaine défiance vis à vis du pouvoir central.

La mosaïque des acteurs en présence au Sinaï est complexe. Entre contrebandiers et mouvances islamistes radicales, les intérêts se rejoignent mais sont difficilement identifiables. Ansar Beit Al-Maqdis, implanté dans le Sinaï à partir de 2011, se revendique ouvertement de la mouvance d’Al Qaida et reste perçu par nombre de spécialistes comme étant un des groupes les plus offensifs et les mieux organisés militairement. On observe qu’en quelques mois, les violences entre insurgés et forces de sécurité se sont multipliées de façon exponentielle. Les attribuer entièrement aux djihadistes serait une erreur selon certains spécialistes. En revanche, certaines – les plus importantes – sont revendiquées par cette organisation et participent d’une stratégie d’atteinte à l’État et à son économie.

Le 19 août dernier, deux minibus avaient été pris pour cible faisant 25 morts. Fin septembre, une opération suicide contre un convoi officiel avait raté de peu le ministre de l’Intérieur. Le 20 novembre, près de Al-Arish, dans le nord du pays, un attentat à la voiture piégée visant un convoi militaire a causé la mort de 11 personne et 37 blessés. Le 25 décembre, un attentat-suicide à la voiture piégée a fait quinze morts, en majorité des policiers, à Mansoura, dans le nord de l’Égypte. Ces attaques spectaculaires ont été revendiquées par Ansar Beit Al-Maqdis. Dans la même période, le groupe avait fait exploser le gazoduc reliant l’Égypte à Israël, sans faire de blessés, mais en réaffirmant son objectif de déstabilisation de l’État. Deux jours après l’attentat du 16 février, sur son compte Twitter, Ansar Beit Al-Maqdis somme les touristes de quitter le sol égyptien « avant qu’il ne soit trop tard ». Il motive son action en précisant que  l’objectif est d’ « attaquer les intérêts économiques » du pays, cet attentat devant être considéré comme une étape d’une « guerre économique contre le régime des traîtres », en allusion au nouveau régime en place.

Le 25 décembre 2013, le pouvoir égyptien déclare les Frères musulmans « organisation terroriste » ce qui ravive probablement l’engrenage de violence dans la région. La nouvelle étape franchie par les djihadistes d’Ansar Beit Al-Maqdis se veut politique, en réaction à l’éviction des Frères musulmans du pouvoir, mais aussi économique de par les objectifs matériels et humains visés. La cible touristique de cette attaque intervient au moment où l’Égypte connait un regain – après une baisse de plus de 50% au cours de ces trois dernières années – dans un secteur essentiel à la reprise économique du pays. 

Au lendemain de l’attaque, le ministre du Tourisme, Hicham Zaazoue se veut rassurant. « Nous espérons pouvoir dépasser cet incident, surtout qu’au cours des trois dernières années, les touristes n’avaient pas été pris pour cible. J’espère qu’il n’y aura pas de répercussions. Nous continuons à travailler pour tenter de vendre l’Égypte comme destination touristique. Mais il est bien connu que les réactions à de tels incidents n’ont pas lieu le jour même. Elles surviennent dans les jours qui suivent ». Sur le plan sécuritaire, la coopération entre l’Égypte et Israël, dont les relations sont au beau fixe depuis le retour des militaires au pouvoir, avait amené les deux parties à s’accorder sur le déploiement de forces supplémentaires dans la région.

Cependant, la capacité du pouvoir égyptien en place à pouvoir endiguer la vague de violences dans le Sinaï conditionne ses bonnes relations avec son voisin israélien et sa crédibilité sur le plan international. A y regarder de plus près, la stabilisation de la région du Sinaï, comme sa fréquentation touristique, semblent bien être les curseurs principaux de la situation politique et sécuritaire de l’Égypte.

 

Marieau Palacio

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