Samedi 23 septembre un public large s’est déplacé pour voir la pièce de théâtre de Ghazi Zaghbani. Celle-ci a été présentée en première à la cité de la culture dans le cadre de la 4eme édition de la manifestation s’intitulant « Sortie au théâtre ». La pièce s’appelle El Firma (La ferme) et dure une heure et vingt minutes. Elle traite d’une société qui devient sans morale voire ensauvagée. Cette déchéance est symbolisée par le personnage principal de la fable : un homme riche, Lamjed, joué par le singulier acteur Mohamed Hassine Grayaâ. Lamjed a soif de pouvoir et a horreur de la critique. C’est aussi un misogyne, un misanthrope, un mégalomane et un condescendant.
En effet, il prend du plaisir à faire souffrir son petit frère, un artiste peureux et qui a zéro confiance en lui mais qui a des principes humanistes tels que la bravoure et la volonté de libération en permanence. Cet artiste est personnifié par l’acteur et le metteur en scène de ce récit Ghazi Zaghbani.
Au fil de la pièce, Lamjed se préparant pour les élections présidentielles est dérangé par les vidéos publiées sur les réseaux par la bloggeuse Maissa. Celle-ci, au tout début de la pièce, à travers une scénographie très intelligente, prend la parole, par le biais d’un écran géant surgissant du fond de la scène, et raconte qu’elle détient des dossiers très dangereux, de meurtre, d’assassinat sur Lamjed qu’elle diffusera sur les réseaux sociaux. Ce qui compte à ses yeux, est que l’opinion publique soit informée de la vérité de cette personne diabolique avant qu’elle n’obtienne son élection au poste suprême. Au fil de l’évolution de la pièce, elle sera prise dans son propre piège et payera le prix de ses menaces des puissants.
Les personnages de Firma sont tous fous et excités
L’univers théâtral de Ghazi Zaghbani est en réalité un univers cinématographique voire fantastique. Ainsi, Ghazi a préparé une musique bien spécifique à cette œuvre. Ce qui est appréciable est qu’il n’a pas chargé sa pièce de musiques et de sonorités comme le font la plupart des metteurs en scène de sa même génération voire de la génération précédente.
Ce qui est original également est que ce n’est pas une musique enregistrée mais plutôt une musique live et chantée par le metteur en scène lui-même qu’il a insérée dans la performance de Majdi, en cela c’est une vraie découverte pour les spectateurs qui souhaitent se déplacer pour regarder ce spectacle vivant privilégiant le visuel en tout ce qu’il a d’exubérant.
La beauté de cette pièce de théâtre est aussi dans un casting réussi. En effet, la cerise de cette œuvre est Ibaa Hamli qui a apporté beaucoup de sensualité, de désir et de charme à son personnage Ferha (Heureuse). Ibaa a incarné le rôle d’une femme complétement perdue. Elle est belle, sexy, ayant une chevelure de lionne mais qui se néglige qui n’a plus envie de son corps. Elle ne sait plus comment se rendre belle. Elle a peur de son mari mais en même temps elle le déteste. Elle lui simule l’amour, lui miroite l’horreur de sa personnalité mesquine, sans piété, violente, sadique et perverse.
Le personnage de Ferha est « bourré », inconscient tout le temps, désespéré et agressif. Sa performance nous rappelle la prestation de Michelle Pfeiffer dans Elvira Hancock dans le fameux film réalisé en 1983 par Brian de Palma Scarface.
Dans le rôle de la bloggeuse Maissa, l’actrice Yosra Trabelsi a fait un effort d’incarnation indéniable. Sa prestation du début lorsque les spectateurs voyaient l’expression de son visage et comment elle pleurait de ce qu’elle a vu comme atrocité était très convaincante. Toutefois, par la suite, son expression corporelle et même la lourdeur de son corps et la lenteur de ses mouvements sur scène et ses endormissements sur la planche n’étaient pas vraiment probants. Aussi, le personnage de Taieb, interprété par le jeune acteur Oussem Goulem, était très lyrique, très expressif dans le geste et dans l’expression, très excité dans le mouvement et dans la gratuité aussi. Ces deux derniers protagonistes de la pièce gagneraient donc à donner plus d’esthétique à leur performance et plus de retenue pour qu’ils soient plus crédibles. Ils n’oublient pas que leurs prestations, même si elles évoquent des personnages, doivent rester dans le beau et dans l’esthétique communicative d’autant plus qu’ils ont un rôle important dans cette fable. Pour terminer, la dramaturgie de la pièce est très ficelée. Les costumes sont intéressants sauf pour la bloggeuse dont les vêtements étaient très ordinaires et pas très valables pour la scène.
Une scène c’est de la fiction et c’est aussi de l’évasion pour un spectateur. Sur le plan de la gestion des lumières et de la synchronisation des différents actes de la fable, Slim Zaghbani a fait du très beau travail. La scénographie a été également très recherchée et très originale, fruit d’un beau travail de Ghazi Zaghbani. Débuts vraiment prometteurs pour cette œuvre dramatique. Le seul grief que l’on peut faire c’est son manichéisme c’est-à-dire d’un côté les hommes comme méchants et tortionnaires et les femmes comme toujours faibles et toujours victimes. Les rôles d’un point de vue artistique comme au niveau réel ont beaucoup évolué présentement.
Mohamed Ali Elhaou