El Hadhra 2014 à l’ouverture du festival de Boukornine: quand Fathel Jaziri touche à l’essence de la Tunisianité !

Le 31 juillet, lors de l’ouverture de la 35eme édition du festival de Boukornine à 21 h 30 commence le spectacle liturgique d’El Hadhra. Ce spectacle réunissant une pléthore d’artistes connus sur la scène tunisienne avec une jeune génération qui regorge d’énergie et de bonne volonté.

Le spectacle est non seulement un chant soufi, religieux laissant libre-court à la transe et à la célébration collective mais aussi un orchestre rigoureux qui suit des rythmes et des mélodies bien précis avec une discipline dont on a besoin pour construire des œuvres culturelles dans notre pays.

Cet orchestre, conduit sous les commandes de l’excellent Samir Rsaysi, composé d’une armada de 40 voix embrasse l’esprit tunisien que ce soit par les habits traditionnels et historiques qu’il porte que par les chants qui viennent des méandres du temple mystique de nos ancêtres ; lesquels chants traditionnels ont été mélangés, et cela est la singularité de ce spectacle, avec un vent de modernité représenté par les notes de pianos, les sons de la guitare électrique et le permanent saxophone  accompagnant une musique populaire faite de sistre et de bendirs.    

Le public a été touché également par la délicatesse de la chanteuse Emna Jaziri. Celle-ci est une réelle artiste polyvalente qui sait aussi bien jouer sur scène, chanter, entrer en transe avec un dosage très calculé et une discipline implacable. Elle était la seule femme dans ce spectacle qu’elle égayait par ses entrées et sorties à peine perceptible.

Après le spectacle, dans une interview exclusive à REALITES ONLINE elle décrivait son travail en ces termes : « j’ai commencé à bosser sur ce spectacle transcendant depuis 2005 […] j’essaye dans ce spectacle d’avoir le rôle d’une vague d’énergie que je donne aux autres, de jouer le rôle d’un point de rassemblement de tous avec le chant, la dance, la transe. Sur scène, je suis une brise d’air. Aussi, El Hathra est un spectacle dynamique qui se préoccupe du spirituel, de l’être et non pas du paraître. À un certain moment, je m’habile en vert pour exprimer la volonté de vivre. Je suis fidèle au travail de Fathel Jaziri et je pense profondément que c’est une grande école de mise en scène et de direction de spectacles à la fois musicaux et culturels de manière générale ».                  

En place depuis 1991, ce spectacle devient pour le metteur en Scène Fathel Jaziri une plateforme de découvertes de nouveaux talents et aussi il aide bel et bien à faire rentrer dans l’univers de la célébrité des artistes comme Hedi Donia.

El Hadhra remet également sous les projecteurs certains artistes ayant de très grande voix mais très peu productifs tels que Karim Chouayeb. Celui-ci était présent hier sur la scène du festival avec la chanson « A lallah dilali » ; désormais  rentrée dans le répertoire des chansons tunisiennes.

Sur ce travail de longue haleine et qui se projette sur la durée Fathel Jaziri dans un entretien exclusif à REALITES ONLINE disait : « Il y a une très grande tradition populaire soufi en Tunisie. J’ai commencé ce  travail depuis maintenant un quart de siècle. J’ai expérimenté ce que l’on pourrait faire avec ses propositions populaires. Et à chaque fois, j’effectue de manière régulière une visitation où j’interroge les matériaux premiers, l’expression, la manière de dire, la manière de représenter et de toucher à cet esprit soufi populaire. Il y a des moments où cela marche même assez bien et on a l’impression de trouver cet esprit […]. La question de la contemporanéité m’intéresse beaucoup. La tradition existe dans mon spectacle dans la mesure où nous visitons de très anciens textes mais cette tradition verse dans la contemporanéité et pas l’inverse. C’est la femme qui incarne cette  contemporanéité. Elle dit le chant principal, le chant de l’optimisme, elle est le regard sur l’avenir, la femme matrice, la femme animatrice, la femme première, qui nourrit, qui représente la terre, la vie. C’est une femme qu’on essaye de présenter en la débarrassant des oripeaux  habituels […]».

Pour Kmar Ben Dana, la grande historienne tunisienne, qui est venue assister au spectacle «ce mixage entre les genres musicaux, entre les genres liturgiques et comment la voix, le corps et la scène sont mis au service d’un hymne à la joie dénotent de la maturité de cette œuvre. La religion à travers ce spectacle est appréhendée de manière joyeuse. L’islam est  une fête et non pas un sinistre. Aussi, il y a une espèce d’unisson avec le public, une relation de proximité avec ce jeune public qui  est venu célébrer cette ouverture du festival. La troupe même a eu de l’adrénaline grâce  à ces spectateurs pleins d’énergie, de liesse et de volonté de vivre.  C’est cela qui est beau. Il y a eu des versions et des versions d’El Hadhra mais à chaque fois il y a une nouvelle tonalité, un nouvel esprit. Fathel Jaziri n’a pas effectué une mise en valeur mimétique. Il cherche à chaque fois de se renouveler et d’apporter un souffle nouveau  notamment en vivifiant réellement notre patrimoine tunisien et lui donner vie. Ce spectacle à réellement réussi à transmettre la fibre joyeuse au public ».   

Seul bémol, des problèmes de sons sont notables, mais l’ensemble de la prestation demeure très satisfaisante et témoigne de la maturité croissante de cette œuvre que l’on reverra à Carthage le 30 aout 2014.

Mohamed Ali Elhaou 

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