Election et inquisition

Outre le patinage sur la religion, Ennahdha manipula son incarcération pour l’obtention de voix lors des premières élections. Aujourd’hui, le score des nahdhaouis conduit maints tenants du sens commun à énoncer des formulations du genre « les Tunisiens ne sont pas faits pour la démocratie », on encore « l’abstention, un mal tunisien ». Erronées jusqu’à l’absurdité, pareilles formulations, nimbées d’ethnicisme quasi apparenté au racisme, détiennent l’avantage d’orienter l’investigation vers l’exigence d’une explication dénuée de superficialité. En effet, une population à majorité machiste n’aurait guère voté pour un président ultraféministe. Sans le charisme, la poigne de fer et le moral d’acier du grand timonier, le CSP n’aurait jamais pu exister au moment où il fut institué vu la prévalence de l’ethos patriarcal et des catégories de pensée léguées par l’ancienne société.
De nos jours, l’élection garantit l’immunité quinquennale des nahdhaouis accusés, entre autres, d’assassinats politiques par les défenseurs de Brahmi et Belaïd. L’échappée à la justice par l’entremise d’un process électoral protecteur de l’inquisition est au principe de la déception éprouvée par les tenants de l’émancipation. Aïda Nizar, interviewée, répond : « Je me sens mal à l’aise avec les islamistes au  pouvoir. Je tiens à m’habiller comme je veux et je resterai dans mon pays tant que ma famille et ma personne ne seront pas agressées. Mon époux a un restaurant et si nous ne pouvons plus vivre en Tunisie avec nos enfants, nous avons déjà pris nos dispositions pour nous installer en Belgique. Nous ne voulons pas que nos enfants soient influencés par une éducation qui risque de mal tourner avec le succès des islamistes aux élections. »
Interviewé le 8 octobre, Ahmed Laâouani, vétéran des ingénieurs agronomes et dirigeant d’un bureau d’études important, ne cache pas sa désillusion : « De coutume je suis optimiste, mais avec ces résultats électoraux, l’avenir du pays s’annonce catastrophique. Bhiri adopte un ton agressif et menaçant pour l’imposition de la charia. Le masque de la conciliation avec les modernistes est tombé ».
Pour Tasnim Mansouri, hydraulicienne, « cette élection promet d’introduire au gouvernement des responsables qui n’ont jamais parlé des grands travaux d’infrastructure d’une façon crédible au plan technique. Pourtant, ces travaux jettent les bases de l’essor économique ».
Lotfi Hechmi, géologue, répond dans la même direction : « Le succès d’Ennahdha me déprime. Nous les avons déjà vus à l’œuvre avec leur Troïka et ils vont réserver des jours encore plus sombres pour le pays ».
D’un revers de main, Slah Mkadmi, sympathisant du mouvement de la tendance islamiste et gestionnaire de l’épicerie d’un centre commercial, balaye le parti-pris adopté contre les nahdhaouis  : « Les perdants essayent de cacher la vérité. Aucun des juges accusés n’appartient à Ennahdha. Jusqu’à ce jour, aucun dossier n’existe aux tribunaux sur l’affaire des assassinats. Nul ne sait qui est le coupable. C’est un règlement de compte entre mécréants. Laissez travailler les nouveaux dirigeants et cessez d’attaquer la religion. Le peuple n’a que faire de ces discours stériles. Le peuple veut le travail et le pain ».
Eminent banquier, pince-sans-rire sans jamais se départir d’un certain sourire, Naoufel Kacem dit à propos de l’élection favorable aux nahdhaouis « echa3b 7ab ».
L’ironie tourne en bourrique le slogan islamiste sur lequel surfent les probables fossoyeurs de l’émancipation donnée à voir pour une dépravation.
Mais le propos de monsieur Naoufel inspire une problématisation afférente à la question de l’élection.
Au début de ce texte, je le signalais, le peuple n’aurait pas voté pour le CSP. Pourtant, ce code sauve les femmes des griffes patriarcales et aligne la Tunisie parmi les épris de l’émancipation déployée à l’échelle mondiale. Même l’Arabie essaye  de prendre le bus en marche à la barbe de ses patriarches. La problématique à élaborer, aujourd’hui et demain en Tunisie, aurait à plagier une formule du fabuleux Montesquieu. La voici : qu’est-ce qu’une élection qui tend à camper l’inquisition sur les hauteurs du gouvernement ?
La même réponse est donnée par les agents du monde profane et les apôtres de l’univers sacré. Pour les premiers, le style de l’autorité a partie liée avec le type de société.
Les seconds, fidèles au 7adith nabaoui, reprennent ce dit : « Kama takounou youwala 3alaykom. » De Gaulle, excédé par son peuple, disait : « Les Français sont des veaux ». Dans ce même ordre d’idées mais avec sérénité, l’attaché au ton de l’analyse conclurait : “L’élection vaut ce que le peuple vaut. »
Pour cette raison épistémologique, les imprégnés par le conservatisme adossé à la religiosité montent à l’assaut de la modernité.
Néanmoins, la coalition des partis peu amoureux des nahdhaouis, pourrait, selon eux, former un bloc parlementaire apte à mener la vie dure au plus froid des monstres froids.
« Qui vivra verra ! »
Entre-temps, bien des imprévus pourraient advenir, vu l’interférence du juridique et du politique. Néanmoins, aucun peuple n’existe sous forme d’essence ou de substance. Bipolarisé, le monde social tunisien traverse la turbulence du clair-obscur à l’heure où perdure le combat entrepris entre Bourguiba et Ghannouchi.

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