Élection présidentielle en Tunisie : À qui profite la dispersion ?

Comment faire pour que l’élection présidentielle – avec ses surprises et son actualité frénétique– n’escamote pas les législatives qui la devancent ? Comment des partis, pour la majorité jeunes et inexpérimentés, vont-ils mener de front les deux processus ? Comment l’électeur tunisien pourrait-il voir clair dans ce tohu-bohu électoral qui ne fait qu’accroître la difficulté du quotidien ?

Depuis l’éviction de Ben Ali le 14 janvier 2011, les Tunisiens font face pour la deuxième fois à un nombre pléthorique de candidats aux législatives qui dépassent les 1500 listes.  Certains voient dans ce pullulement de candidatures le signe de la vitalité politique dans une démocratie en devenir. Sous cet angle, Larbi Chouikha, spécialiste des médias et professeur universitaire, affirme dans une déclaration à Réalités que «la prolifération des candidatures est d’abord le reflet du code électoral qui  le permet. Deuxièmement, cela peut également être un signe de vitalité, de démocratie qui est en train de se construire. Ce qui me dérange personnellement ce n’est pas la multiplication des candidats mais plutôt le contenu du projet. Qu’est-ce qu’on propose ? Quel est le projet de société. Or là, il n’y a pas de débat de fond. Je considère que tout porte beaucoup plus sur le physique des gens et leurs apparences que sur le véritable projet dont ils sont porteurs ».

A examiner de près, cette prolifération de candidats est une vieille technique utilisée généralement pour un triple objectif. Primo, se faire connaître. Deusio, avoir la possibilité de participer au débat public grâce au temps de parole accordé à chaque candidat. Tertio, avoir la possibilité de négocier un portefeuille, une ambassade, un organisme ou une entreprise publique grâce au report de ses propres voix au second tour vers le candidat qu’on pense qu’il a plus de chances de l’emporter. En ce sens, la présentation à la magistrature suprême est-il le symptôme d’une voracité politique nourrie par l’avidité du pouvoir ?

Des candidats sans projet 

Un candidat à la magistrature suprême ou au Parlement doit de coutume être mu par un projet de société qu’il souhaite réaliser pour son pays. Or dans cette masse de candidats, beaucoup n’ont presque rien à dire sauf critiquer l’existant sans proposer une vision claire pour le pays. Aussi, un certain nombre de ces candidats ont beaucoup plus de brèves de comptoir que des idées réalisables et adaptables aux réalités tunisiennes. L’électeur tunisien trouvera, par exemple, des candidats tels que Leila Hammami, Adel Almi et Hechmi Hamdi ; la liste est encore longue mais contentons-nous de ceux-ci pour commencer.

Leila Saïdi Hammami, en l’occurrence, a eu l’idée de débuter sa campagne sur Facebook. Etant une candidate qui se dit indépendante, elle s’est faite un nom grâce à un dérapage notamment sur une page nommée «On ne vote jamais pour ceux qui avancent des propos racistes». Cette page sur Facebook  a été créée après que l’une de ses publications, jugée raciste, a été repérée par les internautes. Dans son statut, Hammami, qui se plaint fréquemment de recevoir des messages privées de personnes de couleurs, qualifie ces derniers de «Khalich», terme péjoratif pour désigner les Africains.

Pour rattraper sa bourde, la candidate à la présidence écrit un nouveau statut sur Facebook, dans lequel elle précise que son père est noir et indique que dans sa publication contestée, elle faisait allusion «aux esclaves de la Banque africaine de développement».

En outre, durant sa première apparition télévisée lors de l’émission Tunivision, elle explique son programme politique en faisant constamment référence à son profil Facebook. Des candidats plus extravagants que Hammami n’hésitent pas à afficher leurs idées pour le moins saugrenues. Se retrouve dans cette perspective Adel Almi, qui, à l’heure du dépôt de sa candidature, samedi 20 septembre 2014, déclare «son engagement à rendre la femme tunisienne maîtresse de son destin» et lui restituer «sa dignité et sa chasteté». Le dossier d’al Almi aurait été déposé sans parrainage aucun, p part trois signatures du bureau directeur de son parti !

Il s’attend désormais à ce que son dossier soit rejeté et envisage de saisir le Tribunal administratif pour protester et attirer l’attention… médiatique. D’après lui, il est anormal que les candidatures de «RCDistes» soient acceptées, alors que la sienne, celle d’un «révolutionnaire», pieux d’après lui, soit rejetée.

Dans cette même lignée, l’électeur tunisien retrouve la candidature de Hechmi Hamdi.  Celui qui a été le premier à déposer sa candidature.

Sur sa chaine de télévision El Mostaqilla, émettant de Londres, Hamdi se prépare depuis le mois de mai 2014 pour les présidentielles.  Etant chef de Tayyar al Mahabba, il s’est montré, dans la soirée du mardi 1er juillet 2014 sur sa chaîne avec un  programme qui met l’accent sur le droit à la couverture médicale gratuite pour tous les Tunisiens démunis ; une prime de recherche d’emploi d’un montant de 200 dinars par mois et une formation d’employabilité de 2 jours prise en charge par l’État.

Selon Hamdi, cette mesure concerne 500.000 bénéficiaires. Enfin, le troisième mesure est relative au transport gratuit (bus, métro, train) pour les personnes âgées de plus de 65 ans. Cette mesure aux dires de Hamdi coûtera 150 millions de dinars aux caisses de l’État. Hechmi Hamdi, avec un budget de 2 milliards de dinars, veut faire une «révolution sociale». Pour collecter ces fonds, il propose deux solutions : augmenter les impôts de ceux qui touchent plus de 60.000 dinars par an et imposer une taxe de 20 dollars pour chaque touriste en Tunisie.

Malgré le populisme de ces propositions, il importe de signaler que Hechmi Hamdi ne connaît plus son pays natal ; il est installé à Londres depuis presque trois décennies. En ce sens, ces préconisations doivent être concrétisées sur le terrain à travers une volonté politique nécessitant une force politique ayant suffisamment de poids et présente sur le terrain et non pas de façon virtuelle, à travers une télévision étrangère basée à Londres.

Les conséquences de cette cacophonie électorale

La dispersion des voix et la multiplicité des candidatures ne modifieront pas l’issue des élections présidentielles mais elles imposeront un deuxième tour.

La deuxième conséquence est la perte de voix pour les grandes forces politiques en lice. Pour les élections législatives en effet, les deux partis donnés favoris, Ennahdha et Nidaa Tounes, perdront des voix.  Le mouvement Ennahdha perdra probablement les voix des purs et durs qui sont nombreux. Le mouvement Nidaa Tounes perdra les voix rcdistes et une partie des voix destouriennes.

Troisièmement, cette cacophonie électorale engendre une focalisation sur les présidentielles au dépens des législatives. Or, conformément à la nouvelle Constitution, l’essentiel du pouvoir sera entre les mains du premier ministre forcément issu du parti qui emportera les législatives.

Aussi, cette cacophonie complique la tâche de l’ISIE et de la HAICA qui seront submergés par un flot de candidats voulant prendre la parole et se faire connaître dans un temps très court. Le risque est qu’on entendra moins les candidats sérieux au profit de candidats comme Nasra ou Bahri Jelassi qui vont déverser sur la société tunisienne des idées pour le moins saugrenues. Les Tunisiens assisteront encore une fois à un spectacle médiocre et des écouteront propositions farfelues. Ceci étant dit, ça sera du pain béni pour les candidats dits « sérieux » puisqu’ils pourront ainsi esquiver le débat d’idées et les problèmes qui fâchent.

 

Mohamed Ali Elhaou

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